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même jeunesse de Naples se rappelle aussi qu’elle a eu pour compatriote le plus grand philosophe du moyen âge, saint Thomas, qui vit le jour à Aquino, et dans ses rangs, dit-on, les thomistes en bon nombre coudoient les hégéliens, en sorte que le climat napolitain paraît capable d’enfanter les doctrines les plus opposées, à l’exemple de beaucoup d’autres et notamment de celui de l’Attique, qui réchauffa et nourrit avec la même tendresse maternelle Socrate et Épicure. Peut-être l’avidité métaphysique de ces ardentes intelligences aime-t-elle à recueillir dans le système compliqué de Hegel des formules arrêtées et des doctrines, sinon claires, au moins très fermes, d’apparence rigoureuse, et d’ailleurs répondant à toutes les questions. Peut-être sont-elles éblouies au spectacle des suprêmes audaces d’une pensée titanique, qui n’est satisfaite et ne se repose que lorsqu’elle croit avoir tiré le vivant univers de son propre sein et s’être identifiée avec l’absolu lui-même. Peut-être y a-t-il aussi en Italie peu d’hégéliens. Voici du moins ce que dit à ce sujet M. Auguste Conti, professeur de philosophie à l’université de Pise : « Nous avons en Italie quelques partisans des systèmes de cet ordre (à la fois panthéistes et mystiques), et surtout de celui de Hegel. Ils sont du reste peu nombreux, et, bien que fort distingués par leurs connaissances, ils n’ont qu’un petit nombre de disciples[1]. » Quoi qu’il en soit, l’hégélianisme est enseigné à Naples par deux savans professeurs, MM. Spaventa et Véra. C’est pour cette philosophie un regain d’influence. En outre M. Véra a commencé et poursuit la traduction de l’Encyclopédie des sciences philosophiques de Hegel, laquelle comprend, comme on sait, trois parties, la Logique, la Philosophie de la Nature, et la Philosophie de l’Esprit. La Logique, habilement traduite et accompagnée d’un commentaire perpétuel, a paru en 1859. Depuis lors jusqu’en 1865 ont été préparés et successivement imprimés les trois volumes où est interprétée la Philosophie de la Nature. Ces traductions et ces commentaires sont estimés. Ils jettent de la lumière sur les obscures théories de l’illustre philosophe allemand. Selon les habitudes françaises, M. Véra a substitué autant que possible les expressions de la langue courante à la terminologie insolite de l’original. Ce n’est pas toutefois que cette traduction donne toujours la clé de la pensée hégélienne; elle présente du moins cette pensée telle qu’elle est. Ajoutons qu’elle la livre à l’étude d’une élite de penseurs et de critiques qui ne l’auraient jamais abordée dans le texte même. L’hégélianisme rentre ainsi dans l’arène philosophique, ramené par l’un de ses plus fervens disciples et à la faveur d’une question tout

  1. La Philosophie italienne contemporaine, par M. Auguste Conti.