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seur. Je renvoie ceux qui seraient tentés de s’édifier plus amplement sur ce sujet au manuscrit original d’Oberon, dont la dernière page, tracée et paraphée de la main d’un mourant, porte cette mystique suscription : « terminé en présence de Dieu! » im Beisein Gottes. Weber était catholique. A l’école de l’abbé Vogler, le matin avant la leçon, il servait la messe du maître. Ame croyante, esprit méditatif traversé d’illuminisme, grande nature d’artiste moderne avec des haines vigoureuses et des soubresauts humoristiques! Jadis en feuilletant ses papiers d’écrivain, un morceau, un éclair nous jaillit aux yeux. C’était l’âge des vers, nous en fîmes le sujet d’un poème, nous pensons aujourd’hui qu’il vaut mieux simplement traduire. C’est du Weber et c’est Weber, qu’on en juge. « Palsambleu! s’écria ce diable d’enthousiaste, tout professeur et docteur que vous soyez, mon cher, on vous en apprendra de belles. Vous imaginez-vous par hasard qu’en ce bienheureux âge de lumière où la révélation est dans l’air, un musicien s’en ira de gaîté de cœur comprimer le torrent de ses idées? Et le génie, l’inspiration, les forces spontanées, titaniques, s’il vous plaît, alors que deviendront-elles? Style, clarté, mesure, conséquence, laissons cela aux perruques du temps jadis. C’était bon, cette gamme, pour vos Gluck, vos Hændel, vos Mozart. Je ne connais, moi, que la passion, et je dis à tous ces radoteurs: Allez au diable. La règle! Qu’est-ce que la règle? La règle enchaîne ma liberté, tue mon génie! »

Weber, qui, travaillant depuis le matin, s’était endormi de fatigue, se réveilla à ces paroles. Dieu soit loué! il n’a fait là qu’un mauvais rêve. L’incident qui met fin à ce cauchemar est surtout d’une invention charmante; on dirait un secours de Puck ou d’Ariel. « Tout à coup, à la guitare suspendue au mur derrière moi, une corde se cassa bruyamment, et je m’éveillai, transi d’épouvante, juste au moment où j’allais devenir un grand compositeur dans le goût du jour, ou, si vous l’aimez mieux, un maître fou! » Et voilà que, par un court verset en actions de grâces à la guitare, se termine cette jolie légende dont le sens esthétique profond, la moralité se dérobe sous le tissu léger, irisé de la fantaisie. Vous croiriez presque lire du Novalis. « Grâces te soient rendues pour avoir ainsi veillé sur moi, guitare ma mie, humble et douce accompagnatrice du chant! Je repris aussitôt mon travail à peine achevé, le parcourus à la hâte, puis, m’étant assuré que rien, absolument rien, dans ces pages de ma composition, ne relevait des affreux principes de mon iconoclaste, je respirai, et la joie au cœur je fus entendre Don Juan. »


HENRI BLAZE DE BURY.