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contraste. Ces dialectes que la science nomme touraniens, et qui comprennent le finnois, le turc, le mongol et le tartare (mandchou), s’acheminent dans cet ordre même vers l’état de langues à flexions, de sorte que le finnois touche à la troisième période et que le tartare se rapproche beaucoup du chinois; mais ni les élémens formels des mots ni les racines ne sont les mêmes dans ces différens idiomes. De plus le tartare, quoique coexistant avec le chinois sur le sol même de la Chine depuis que cet empire est gouverné par une dynastie tartare, ne s’est presque pas mêlé avec la langue du pays et ne lui a presque rien emprunté.

En résumé, ni les parties formelles ni les racines attributives des mots considérées dans toutes les langues n’autorisent à établir entre elles un lien généalogique. On ne voit de dérivation certaine que dans les deux familles de la troisième période, lesquelles restent d’ailleurs isolées l’une de l’autre. Un petit nombre seulement de dialectes appartenant à la période moyenne peuvent être ramenés à l’unité et former des familles moins étendues que les deux précédentes, familles qui elles-mêmes restent indépendantes entre elles. Vient enfin le chinois, qui n’a de points communs ni avec les langues aryennes ou sémitiques, ni avec celles de la deuxième période. Tel est l’état actuel de la science des langues. Si donc on nous demande : « Les hommes ont-ils tous primitivement parlé la même langue, et cette langue a-t-elle engendré toutes les autres? » nous répondrons : Aucun fait scientifiquement analysé ne prouve que les hommes aient eu d’abord une même langue; des milliers de faits indiquent qu’il s’est formé à la surface de la terre, soit en Asie, soit en Europe, soit ailleurs, certains centres de langage probablement assez nombreux, desquels ont rayonné, suivant les lois exposées plus haut, les langues et les dialectes des temps postérieurs.

Il resterait à résoudre le dernier problème, celui de l’origine du langage. On n’est point satisfait du chapitre consacré par M. Müller dans ses premières leçons à cet important sujet : non-seulement il ne résout pas la question, mais il l’obscurcit, faute d’une bonne théorie philosophique. La base fournie par la philologie comparée est tellement solide qu’on peut élever sur elle autre chose que des hypothèses et des doctrines vagues et flottantes. Il fallait d’abord écarter de la question tout dogme ecclésiastique, parce que l’intervention de la religion dans la science est la destruction de la science. Il fallait ensuite montrer que les philosophes des siècles précédens, même ceux du dernier siècle, ont été hors d’état de résoudre le problème parce que les termes n’en avaient point été analysés, et que ceux de nos jours qui l’abordent sans philologie se placent dans les mêmes conditions que ceux des siècles précédens.