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IV.

Le lecteur qui a bien voulu nous suivre doit pressentir en ce moment la gravité des conséquences à tirer des découvertes de la science du langage. Ces conséquences paraîtront beaucoup plus importantes encore, si l’on aborde les deux derniers problèmes qu’elle est appelée à résoudre, celui de la commune origine des langues et celui de l’origine première du langage.

L’unité primitive des langues humaines est une question de généalogie et dans une certaine mesure une question d’ethnologie. Les rapports généalogiques des langues s’établissent par la comparaison des formes grammaticales pour toutes celles qui appartiennent à la seconde et à la troisième période, par la comparaison des racines pour toutes en général. Il est en effet constant qu’un peuple ne change pas de grammaire pendant toute la durée de son existence, et qu’au temps où il périt en vertu de quelque transformation sociale, politique ou religieuse, les élémens formels de sa langue engendrent par voie d’altération phonétique une ou plusieurs autres grammaires fondées sur la sienne. Ainsi les formes des mots français, italiens, espagnols, s’expliquent par les formes correspondantes des mots latins ; les exceptions sont toujours très rares. Il est donc possible d’établir par une analyse scientifique la généalogie de ces langues et de les ramener à l’unité d’où elles sont sorties. De même les langues plus ou moins anciennes que nous nommons celtique, germanique, latine, grecque, iranienne et sanscrite, sont sûrement ramenées à l’unité d’une langue aryenne qui les a précédées et d’où le fractionnement dialectal les a fait naître tour à tour. La seule comparaison des grammaires suffit pour établir cette généalogie et pour séparer les langues à flexions en un très petit nombre de familles. En réalité, ces langues n’en forment que deux, l’aryen et le sémite primitifs, dont les grammaires sont irréductibles l’une à l’autre.

Les langues de la seconde période appartiennent presque toutes à des peuples dont la civilisation est très peu avancée, qui sont de race inférieure, et qui, après avoir couvert une grande partie du globe, sont aujourd’hui dispersés à tous les coins de l’horizon. Il est très difficile dans l’état actuel de la science d’établir entre la plupart de leurs dialectes des rapports généalogiques ; mais en considérant les racines des mots on trouve qu’elles ont en général fort peu d’analogie entre elles, et qu’il est à peu près impossible de les ramener à l’unité. Les différences sont bien plus grandes encore quand on compare ces dialectes aux langues de la troisième période, car le manque d’analogie se transforme alors en un véritable