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labiques composées comme le chinois de racines attributives. On constate aisément le même fait pour des langues de la catégorie du turc; on est donc en droit de conclure que ces langues aussi ont été dans l’origine composées de monosyllabes.

Ainsi les familles se transforment en périodes. Revenant alors sur tout l’ensemble des langues humaines, on s’aperçoit qu’à l’heure présente il y a sur la terre des représentans de toutes les périodes de formation. Si l’ancien chinois représente cet état primitif que M. Müller appelle la période des racines, il y a déjà un commencement de soudure dans plusieurs mots du chinois moderne. Entre cet état et celui où est actuellement la langue turque, les dialectes touraniens nous offrent tous les états intermédiaires, et le turc à son tour subit de plus en plus la loi qui fait passer une langue de son espèce à l’état de langue à flexions. Enfin toutes les langues à flexions ne sont point parvenues au même degré de transformation : le sanscrit est plus près de l’état ancien que les dialectes populaires qu’il a engendrés, le pâli, l’indoustani et plusieurs autres; l’italien est plus près du latin que le français. Les trois grandes périodes signalées par la philologie ne sont donc point isolées les unes des autres; il y a de l’une à l’autre des transitions nombreuses; il les faut admettre moins comme des périodes que comme des points de repère dont la science une fois faite peut se passer. Les langues humaines nous offrent alors un tableau qui n’est pas sans analogie avec celui du ciel étoile. Ici le télescope, aidé du calcul, nous fait voir des mondes à tous les degrés de formation, depuis la nébuleuse irréductible et la comète, où la matière cosmique présente une masse homogène d’élémens subtils et égaux entre eux, jusqu’à ces terres refroidies et à ces Müllers de petits corps planétaires qui parcourent l’espace et se précipitent enfin sur les plus grands. Entre ces deux extrêmes sont les nébuleuses annulaires ou résolubles, dont quelques-unes sont déjà brisées et montrent des centres d’attraction vers lesquels les matériaux qui les composent sont en marche pour se réunir, puis les soleils radieux avec leurs planètes où coulent les fleuves, où circulent les vents, où fleurit la vie, enfin les systèmes planétaires emportant dans l’espace autour des soleils leurs satellites glacés et leurs anneaux. Il n’est pas un astronome aujourd’hui qui n’admette que ces satellites, ces terres, ces soleils et tout ce qu’ils renferment ont commencé par être des nébuleuses irrésolubles et des amas de matière sidérale jetée pêle-mêle comme une poussière et comme un chaos.

Comment les langues ont-elles passé de la période des racines à celle des flexions? M. Müller développe ici la théorie déjà ancienne de l’altération phonétique et celle du renouvellement dialectal. Nous pensons qu’il y faut ajouter l’élimination, dont l’auteur ne fait point