Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 67.djvu/30

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

où se mêlerait au jeu quelque supercherie, prêtons-nous y de bonne grâce, car il ne s’agit en ceci que de renouveler la source de nos plaisirs. Donc plus de variantes, mais le texte, entendez-vous bien, le texte du maître! La partition exécutée à l’Opéra sous les auspices de M. Berlioz ne fut qu’un vulgaire et banal arrangement, le Théâtre-Lyrique seul possède l’œuvre canonique; c’est l’histoire du manuscrit de Mozart qui pour Weber recommence. Ecco il vero Pulcinella! Il n’y a de vrai Don Juan, de vrai Freischütz que le Don Juan et le Freischütz que chante Mme Carvalho !

Le véritable amphitryon
Est l’amphitryon où l’on dîne.

Une plaisanterie perd son charme alors qu’elle se renouvelle trop souvent. Le vrai Freischütz n’existe à ce compte qu’en Allemagne. Pièce et musique ont tellement l’accent du pays qu’en dehors de l’atmosphère locale on n’atteindra jamais, quoi qu’on fasse, qu’une sorte de vérité relative dans l’interprétation. C’est une question d’exécution plus ou moins réussie, de décors et de mise en scène; mais quant à rendre le sens profond, genuine, la vérité de l’œuvre, on y peut renoncer. L’Opéra, lors même qu’il emploierait à cet effort toutes ses ressources, n’approcherait pas de l’effet produit en Allemagne par une troupe de troisième ordre, et qui, sur tout autre point, serait capable de se laisser battre par le Théâtre-Lyrique. L’unique moyen d’être vrai serait de ne pas traduire du tout, de faire pour l’ouvrage entier ce qu’on fait pour le titre imprimé tel quel sur l’affiche, et d’engager tout le personnel d’un théâtre d’outre-Rhin, en ayant soin de ne pas oublier les machinistes.

C’était en 1826; un Français occupant un poste quelconque dans une petite résidence d’Allemagne reçut un soir d’été le billet suivant qu’il ouvrit après avoir vainement essayé d’en reconnaître l’écriture sur l’enveloppe. Le billet contenait ces quatre lignes : « Monsieur, de passage à X..., une indisposition subite et, je l’espère, sans gravité me force à garder la chambre et le lit (une chambre et un lit d’auberge!); vous seriez bien aimable de me faire visite. Votre tout dévoué

« C.-M. DE WEBER. »

Causer avec l’auteur du Freischütz était un plaisir dès longtemps convoité; le jeune homme en question court à l’hôtel indiqué; on lui désigne une chambre au premier étage, il frappe discrètement, il entre. Dans un lit près de la fenêtre, un homme était couché; de sa tête perdue dans les coussins, on n’apercevait que le nez très long et très busqué et deux yeux qui brillaient d’un regard de