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yeux se sont accomplis sur deux points principaux du globe, chez les Grecs et chez les Indiens. A quel moment l’étude analytique du langage a-t-elle commencé chez les Grecs? Je l’ignore, et il ne paraît pas qu’on puisse le savoir; car si le premier grammairien qui a laissé un nom appartient à la période alexandrine, d’un autre côté Aristote et même Platon possédaient des notions grammaticales déjà si avancées, qu’il est difficile de les en croire les premiers inventeurs. De plus, si la grammaire, c’est-à-dire l’étude pratique d’une langue, est la première étape de la science du langage, elle n’apparaît pas non plus subitement au milieu d’un peuple. On peut penser qu’elle s’y montre aussitôt qu’il existe une littérature classique et une langue qui cherche à se fixer; c’est ce qui est arrivé dès le temps d’Eschyle, comme le témoigne Aristophane. L’enseignement des pédagogues avait certainement dès cette époque une couleur grammaticale, comme celui des sophistes et des rhéteurs avait une couleur littéraire. Au siècle suivant, Platon posait les grands problèmes du langage presque dans les termes où nous les posons aujourd’hui, et, sans pouvoir s’appuyer sur les faits innombrables dont nous disposons, proposait par une sorte d’intuition du génie les solutions que nous proposons nous-mêmes. Nous ne pouvons pas citer ici ses paroles, mais nous renvoyons le lecteur curieux au dialogue intitulé Cratyle.

C’est peut-être aussi s’avancer beaucoup que de représenter les anciens Grecs comme indifférens à l’étude des langues étrangères. Bien des choses au contraire les y conviaient : leur commerce, leur politique, leurs colonies, leurs voyages, leur curiosité d’historiens si vivement excitée depuis le temps d’Hérodote, le renom de sagesse, c’est-à-dire de science, dont jouissaient chez eux les peuples de l’Orient, enfin, depuis l’époque de Socrate, cet immense besoin de savoir d’où sont sorties presque toutes les sciences que nous cultivons de nos jours. On se persuade que les études grammaticales n’échappèrent point à cet élan général des esprits, quand on en trouve des traces considérables dans Aristote, et que peu d’années après on les voit florissantes dans Alexandrie. Le bouleversement du monde grec qui suivit la conquête macédonienne et l’expédition d’Alexandre le Grand, loin de ralentir ce mouvement, le précipita et le concentra dans certaines villes, telles qu’Alexandrie, Pergame, Antioche et Rhodes. Dans l’espace de temps compris entre Alexandre et la conquête romaine, les études grammaticales prirent un grand accroissement. Deux causes surtout y contribuèrent, les progrès des sciences d’observation et en général de l’esprit scientifique chez les Grecs, le rapprochement de beaucoup de peuples et de langues à la suite de la conquête macédonienne. L’esprit scientifique durant cette période ne s’appliqua pas seulement à la re-