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spéculations grammaticales ou philologiques, et qui n’ont point étudié dans ses détails la géographie ou l’histoire des peuples barbares. On désirerait souvent aussi plus de clarté dans l’exposition, plus de suite dans le développement des doctrines, en un mot plus d’ordre dans la composition du livre et de proportion entre les parties; mais ces qualités sont trop exclusivement françaises pour que nous soyons en droit de les exiger d’un Allemand, et encore d’un Allemand qui écrit dans une langue étrangère et qui professe pour des étrangers. Le manque de netteté dans la forme a l’inconvénient de faire paraître hasardées, même aux yeux des personnes compétentes, beaucoup d’assertions qui sont cependant fondées sur un grand nombre de faits et sur un emploi très sûr de la méthode. Enfin, si nous ne connaissions par d’autres écrits la hardiesse d’esprit de M. Müller et la solidité de son savoir, plusieurs parties de son livre, notamment celle où il est traité de l’origine du langage, pourraient à nos yeux porter quelques traces de timidité et d’hésitation. Nous croyons que ces défauts, signalés par plus d’un lecteur, n’existent pas en réalité, et que, si les conclusions du livre paraissent incertaines, cela tient surtout à ce que les connaissances psychologiques et les principes métaphysiques de M. Müller ne sont ni assez clairs ni assez solides. L’analyse des faits, en général la méthode naturelle appliquée à l’étude du langage, méthode qu’il possède aussi bien qu’aucun homme de l’Europe, l’a porté jusqu’à un point au-delà duquel elle ne suffit plus et où l’on ne peut demander de nouvelles lumières qu’à la philosophie. Il eût été plus prudent de marquer la limite où s’arrête la science du langage et de laisser le reste aux inductions d’une autre science; mais l’homme que l’étude générale de la chimie et de la physique a conduit jusqu’à la théorie des équivalens, telle qu’elle a été plusieurs fois et récemment encore exposée dans la Revue, peut difficilement s’arrêter en face du dernier problème dont la solution lui donnera la clé de tous les autres. Quand une analyse bien faite nous a montré qu’à une certaine époque de l’humanité on a parlé en monosyllabes, et que c’est de ces élémens simples que toutes nos langues sont sorties, il est difficile de ne pas se demander à soi-même d’où sont venus ces premiers élémens et comment l’homme a pu les inventer ou les recevoir. Toutefois, de même que la théorie de l’unité des formes primordiales de la matière ne peut pas s’établir par la seule observation et n’est pas du domaine de la physique, de même la question de l’origine du langage ne peut pas être résolue par les seuls principes de la grammaire comparée. Ces problèmes et tous ceux du même genre appartiennent à la métaphysique. Seulement, pour les résoudre avec certitude, les sciences d’observation sont d’un puissant secours, parce que les faits scien-