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n’a point poussé, si bien qu’en regard de ce Freischütz, modèle et chef-d’œuvre de pittoresque romantique, on en imagine un autre également original, mais plus conforme à l’esprit de la légende, où les cors de chasse tiendraient moins de place et les voix de la conscience se feraient entendre davantage, un Freischütz dont Henri de Kleist par exemple aurait écrit le poème, et Beethoven la musique !

N’allons pas nous méprendre pourtant et gardons-nous d’abandonner la proie pour l’ombre. Derrière le romantisme de Weber se montre encore bien du réel. Il a sur ses camarades de la littérature cet avantage de croire à ses personnages, surtout à ses fantômes. Il n’ironise pas. Les prières d’Agathe vont à l’âme; le superbe adagio de son air au second acte, si haut monté en couleur, en pittoresque, n’en renferme pas moins des trésors d’émotion et de pathétique. J’en dirai autant d’Euryanthe, figure aimable et douce, cœur sensible, en qui la religion n’est pas simplement une poésie. Weber ne souffle pas sur ces spectres. Le mal, même alors qu’il l’évoque et l’installe en plein milieu fantastique, n’est jamais à ses yeux un épouvantail de commande, qu’un éclat de rire va réduire à néant. Ce Caspar du Freischütz, bien qu’à peine esquissé, porte en lui tous les stigmates du méchant, — drôle et scélérat pittoresque si l’on veut, mais vrai drôle et vrai scélérat. Le Lysiart d’Euryanthe continue le type et le parachève. Le monologue de Lysiart n’est autre chose que l’air de Caspar agrandi de forme et de ton, sublimé, et les deux morceaux, pour qui sait voir, tirent leur commune origine de l’air de Pizarre dans le Fidelio de Beethoven.

En effet, les esprits élémentaires sont pour lui des réalités. Tant que dure la conjuration, il croit à sa diablerie, et c’est pourquoi tous avec lui nous y croyons. Impossible d’entendre la musique du Freischütz sans éprouver le contre-coup de ces terreurs que Weber, l’écrivant, a ressenties. Une nuit, tandis que seul il composait la fameuse évocation, un frisson le saisit, il eut peur. Il était sans lumière, la lune éclairait la chambre; à ces mots : Samuel Erschein ! le diable lui apparut. Weber tressaillit, mais ne désempara, et, n’osant bouger de sa place, termina la scène tout d’une traite, comme sous la dictée du mystérieux visiteur, qui, satisfait, s’éloigna au chant du coq. Comparez ensuite de pareils effets avec ceux que nous obtenons en poésie par les moyens dont nous disposons. Que peut la langue des mots contre un roulement de timbales, un accord de trombones? Que sont, comme impression du monde surnaturel, nos rhythmes et nos strophes près d’un soupir de flûte ou de hautbois, d’un trait de violon à l’aigu, d’une clarinette sonnant le glas funèbre de ses notes basses? Weber, sur le chapitre de ces