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leur révolte, échauffe leur fanatisme, flatte leurs prêtres ou les corrompt; elle pousse tout au pis, et voudrait déjà donner le coup mortel.

L’Angleterre a des vues opposées. Elle n’a rien à prétendre dans un partage, tandis que la faiblesse de la Turquie assure ses communications avec l’Inde et lui livre le commerce de l’Asie. Les traités lui assurent de solides avantages; ses importations dépassent 130 millions, et la contrebande grossit singulièrement ce chiffre. Tandis qu’elle encourage les révolutions en Europe, elle professe en Turquie les principes conservateurs; elle soutient le sultan à tout prix, elle voudrait écraser les résistances, elle pleure encore la grande erreur de Navarin; ses intérêts commerciaux et la crainte que lui inspire la Russie se couvrent d’un voile qui ne trompe personne, mais elle gagne du temps à l’aide de cette chimère qu’elle appelle l’intégrité de l’empire ottoman.

La France seule est désintéressée; elle n’a rien à conquérir, son commerce n’a rien à perdre. Le rôle de la France est donc de protéger l’Orient contre les Russes et de concilier avec le progrès un équilibre nécessaire à la paix du monde. Tantôt elle s’allie à l’Angleterre pour combattre la Russie, tantôt elle unit ses efforts à ceux de la diplomatie russe pour obtenir de l’Angleterre des concessions commandées par la justice et par l’humanité. Elle sent que l’empire de Constantinople doit se dissoudre et non s’écrouler, que les races chrétiennes doivent se relever, mais une à une, à mesure qu’elles sont mûres pour la liberté, — que la race arabe a plus d’intelligence et plus de vitalité que la race ottomane, mais que son concours est encore le salut de la Turquie, — que les Turcs repasseront un jour le Bosphore, mais qu’il faut leur préparer des héritiers capables d’arrêter ou de déjouer l’ambition moscovite. En un mot, la politique de la France est à la fois libérale et conservatrice, c’est la politique de l’avenir; aussi depuis un demi-siècle a-t-elle agi plus efficacement que toute autre nation sur les destinées de l’Orient. C’est la France qui a entraîné la flotte anglaise à Navarin où s’est consommé l’affranchissement de la Grèce; c’est la France qui, en 1840, a rompu la servitude de l’Egypte en assurant la couronne à la famille de Méhémet-Ali; c’est la France qui a défendu dans le congrès de 1856 la cause des principautés danubiennes et qui les a excitées à s’émanciper aussitôt après le traité; c’est la France enfin qui protège la Tunisie, qui pacifie le Liban, après avoir offert devant Sébastopol à la Turquie sagement mutilée un sacrifice de deux cent mille soldats.

Les ministres du roi Charles X, le gouvernement du roi Louis-Philippe, l’empereur Napoléon III ont suivi cette règle de conduite,