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sans doute reproduits dans son poème, mais avec trop de préoccupation de la fantasmagorie théâtrale. Dans la nouvelle, il y a moins de spectacle et plus d’intérêt. — Un sanglier débouche du taillis, Wilhelm se met en défense et le spectre disparaît. Arrive un équipage à fond de train; les postillons, faisant claquer leur fouet, lui crient de débarrasser la voie; il ne répond, et l’équipage, au moment de franchir le cercle magique, s’évanouit en fumée. Une mendiante folle qu’il connaît passe et le déclare son fiancé. On entend un cri de détresse, c’est Kätchen (l’Agathe de l’opéra), qui, poursuivie par l’horrible mendiante, vient en s’échappant de tomber aux mains de l’invalide, apparu tout à coup. Wilhelm cette fois se laisse vaincre; il va céder à l’illusion, bondir hors du cercle lorsque, minuit sonnant dans le lointain, toute la fantasmagorie se dissipe. Wilhelm a satisfait au pacte d’initiation, les balles sont fondues, le nombre y est. Aussitôt un cavalier noir s’arrête devant le cercle, et d’une voix dont retentissent les échos de la montagne prononce ces mots cabalistiques : u Soixante touchent, mais trois louchent. »

Le jour venu de la grande chasse, Wilhelm accomplit des prodiges. Le commissaire du prince ne tarit pas en félicitations ; reste une dernière prouesse inscrite au programme par la tradition. Une colombe vient de s’abattre dans l’épaisseur des arbres, il faut la tirer au jugé. Le commissaire trouve d’ailleurs l’épreuve bien inutile après les nombreux exploits de la journée. Wilhelm y tient; c’est du luxe, mais il veut s’en passer la fantaisie. Il tire donc, et Kätchen, sa fiancée, tombe frappée à mort. A côté de la jeune fille expirante se dresse, ricanant et sinistre, l’invalide à la jambe de bois : « soixante touchent, mais trois louchent. » La parole du cavalier funèbre s’accomplit et aussi le vœu de la mendiante. Wilhelm finit à l’hôpital des fous.

Je le répète, un souffle tragique parcourt ce récit, et l’on se prend à regretter que Weber n’ait pas insisté davantage sur le caractère sombre du sujet. Il n’y a vu que le romantisme des bois, un épisode de la vie forestière se terminant par le chant nuptial obligé : dénoûment heureux, résolu dans la lumière d’une modulation qui pour la puissance d’effet n’a peut-être pas sa pareille au théâtre, nœud gordien, non pas coupé brutalement, mais délié par la main du génie au frémissement admiratif de la salle entière, que va saisir d’un nouveau ravissement l’hymne final, une période d’ampleur, de limpidité, de magnificence tout italiennes : du Bellini des plus beaux jours orchestré par Weber! Et cependant, curiosité damnable, on voudrait bien savoir ce que le dénoûment tragique eût produit, on se dit qu’il y avait au fond de ce sujet un cri de désespoir humain que Weber, tout entier à son fantastique hoffmannesque,