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Prussiens cet austère régime qui devait donner à leur patrie autant de soldats que de citoyens. Les désastres sous lesquels palpitait la Prusse, son amoindrissement territorial, son appauvrissement, la forcèrent de combiner son nouveau système d’armement national avec un esprit d’économie qui en reste jusqu’à présent une des conditions caractéristiques les plus heureuses. En Prusse, la grande organisation militaire est donc née des nécessités réunies de la situation extérieure et de la situation intérieure, nécessités vues et senties par tous. Il n’en saurait être autrement ailleurs pour l’accomplissement d’une tâche analogue.

Avant de demander à la France un développement considérable de ses institutions militaires, on ne peut par conséquent se dispenser de lui dire avec franchise et netteté pourquoi sa situation extérieure lui prescrit ce grand effort, et de l’édifier sur les conditions auxquelles sa situation intérieure pourra la mettre en garde et en défense contre les périls et les chances qui exigent d’elles un vaste déploiement de forces. Avant de convenir du nombre d’hommes que nous devrons donner à la défense de la patrie, avant de décider sous quelle forme nos nouveaux devoirs militaires nous seront imposés, nous devons savoir ce qu’il y a eu de changé en Europe par rapport à la France, nous devons examiner si ce changement ne demande point de nous autre chose que des précautions militaires. Nous devons nous consulter nous-mêmes sur les directions qu’il nous importe de donner à notre politique intérieure et extérieure en vue de ces transformations qui s’accomplissent autour de nous, et dont nous éprouvons la réaction d’une façon si visible.

Pour répondre à ces interrogations qui nous pressent, nous ne rentrerons point dans la discussion des transactions de la politique extérieure durant ces dernières années, transactions que nous avons d’ailleurs appréciées à satiété et le plus souvent critiquées avec une prévoyance malheureusement impuissante au moment où elles se produisaient. Il serait aujourd’hui sans utilité de remâcher des récriminations éternelles contre les fautes commises. On se convaincra d’ailleurs de jour en jour davantage, à mesure que le point de perspective s’éloignera des événemens, que, si ces fautes peuvent être imputées aux personnes, elles sont bien davantage encore la conséquence du système politique défectueux où la France a été engagée. Il nous suffira de prendre les choses où elles sont. Le grand changement européen dont la France est émue, le changement qui a porté soudainement la pensée publique sur l’état de nos forces militaires, est celui-ci : en face des victoires de la Prusse, des transformations politiques de l’Allemagne, de la concentration des forces de guerre sous une seule direction gouvernementale qui est devenue tout à coup possible à notre frontière au-delà du Rhin, la France a senti qu’elle ne possédait plus cet ascendant de puissance qui était pour elle une condition de sécurité, qui assurait la plénitude de la liberté d’action à sa politique européenne, qui lui donnait