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ravissement les Orientales de Victor Hugo ? Il semble que cette ouverture d’Oberon en contienne l’esprit, l’élixir. Le haschich ne produit pas sur le cerveau d’effets plus puissans, plus rapides. Quelques minutes, et la musique vous en a fait sentir autant sur un sujet que les vers du plus grand poète ne vous en apprendront en six semaines. Le vent de rénovation qui de toutes parts soufflait alors sur les lettres féconde également, grâce à Weber, le monde musical. Schlegel, Rückert, Platen, le vieux Goethe lui-même, pour son Divan, étaient allés demander à l’Orient ses idées, ses formes, son pittoresque ; à cette caravane, Weber aussi voulut se joindre. Il monta sur son chameau, quitte à en descendre quand le temps serait venu, parcourut les steppes magyares, les pays slaves, écouta, recueillit les chants populaires, nota les rhythmes, et chemin faisant, pendant qu’il y était, poussa jusqu’au Céleste-Empire, ainsi qu’on peut s’en assurer en lisant l’ouverture de Turandot, composée sur un motif d’importation chinoise. Il y a dans Preciosa des airs tziganes, le Freischütz est plein de mélodies qu’on se transmet de père en fils dans les villages de Bohême, et çà et là dans Oberon vous saisissez l’écho de la musique turque.

Les contradictions chez Weber s’entre-croisent à vous émerveiller. J’en citais une tout à l’heure, en voici bien une autre ! Il se prétend le plus Allemand des Allemands, porte à la frénésie, au pédantisme, l’esprit de nationalité, conspue l’ami des anciens jours, Meyerbeer, un affreux hérétique, — se déclare à outrance l’antagoniste de Rossini, l’envahisseur italien. Et ce doctrinaire impitoyable, ce féroce douanier se trouve être en dernière analyse le compositeur qui a le plus trafiqué de la marchandise étrangère ! Mazourkas, siciliennes, polonaises, que de péchés n’a-t-il point sur la conscience! Dans sa cantate intitulée Combat et Victoire, tous les peuples ayant pris part à la guerre sont désignés par leurs chants patriotiques ; la marche des grenadiers autrichiens figure en ligne de bataille à côté de l’hymne moscovite. Français et Prussiens se canonnent à coups d’airs nationaux. C’est l’exactitude littérale du costume si chère à toutes les écoles romantiques, l’ethnographie moderne introduite dans le système musical. Les avantages qu’un tel mouvement produisit, nul ne les ignore. L’art s’y régénéra pour un moment. Que d’effets de style révélés, de paillettes d’or, qu’on puisait dans ces affluens ! Il va sans dire que le sens national y perdit bien aussi quelque peu de son ingénuité. Au lieu de créer naïvement comme les anciens maîtres, qu’une dose d’italianisme n’empêchait pourtant pas d’écrire leurs chefs-d’œuvre, on se mit à manipuler des élémens exotiques. À ce jeu, la dextérité suffisait, l’ingéniosité remplaça le génie, et c’est contre cet esprit de dés-