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rêt, opérer presque à coup sûr et de façon à tromper les yeux, les plus défians. Sous la restauration, qui fut un temps glorieux pour le cabinet noir, des chimistes célèbres qui ont joui de grands honneurs pendant leur vie, qui ont laissé un nom fort honoré depuis leur mort et qu’il est inutile de désigner, n’ont point dédaigné de travailler de toutes leurs forces à perfectionner l’art du « ramollissement des cachets, » ainsi que disait le cardinal de Richelieu.

La lecture des lettres des particuliers était devenue le passe-temps favori de Louis XV, qui trouvait dans la satisfaction de cette malsaine curiosité un aliment et un divertissement pour son esprit égoïste et corrompu. L’honnête Louis XVI voulut, au commencement de son règne, mettre fin à ces scandales d’indiscrétion, qui n’étaient plus un mystère pour personne, et répudier un tel moyen de gouvernement. Un arrêté du 18 août 1775 déclara que « la correspondance secrète des citoyens est au nombre des choses sacrées dont les tribunaux comme les particuliers doivent détourner les regards. » Cette probité sérieuse et plus habile que toutes les roueries de la police ne fut pas de longue durée. On influença l’excellente et faible volonté du roi en invoquant la raison d’état, et le cabinet du secret des lettres fut rétabli; il fonctionnait activement peu de temps après l’arrêt que nous venons de rapporter. On peut se figurer à quel point cette question soulevait toutes les consciences en parcourant les cahiers qui contenaient les vœux de la France au moment où la révolution allait éclater. Ils sont unanimes pour réclamer le secret des lettres, la suppression du bureau qui, à l’hôtel des postes de Paris, a le droit d’ouvrir les correspondances, — la responsabilité des agens et leur punition sévère en cas de délit[1]. Les députés aux états-généraux ne furent point sourds à l’appel de leurs commettans; ils s’en firent l’écho. Dans la séance du 8 juillet 1790, sur le rapport d’Armand Gontaut (ci-devant Biron), l’assemblée nationale supprime les fonds affectés au cabinet du secret des postes; dans la séance du 22 août suivant, elle décrète, après avoir entendu le rapporteur La Blache, que les administrateurs et les employés des postes prêteront, les premiers entre les mains du roi, les seconds entre les mains des juges, serment de respecter et de faire respecter par tous les moyens en leur pouvoir « la foi due au secret des lettres de toute la correspondance du royaume. »

On pourrait croire d’après cela que le cabinet noir était définitivement fermé, et que les moyens de gouvernement dont usaient « les tyrans » ne pouvaient convenir à « un peuple libre; » on se

  1. Les Cahiers de 89: Léon de Poncins, p. 138.