Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 67.djvu/159

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

petite part de souveraineté. Les dépositaires mêmes du pouvoir n’étaient pas des représentans de leurs concitoyens; ils étaient la plupart du temps désignés par le hasard : on tirait au sort dans des bourses les noms des magistrats qui gouvernaient la république. Si de nos jours les urnes électorales, qui gardent leur secret si peu de temps, n’ont pas été à l’abri du soupçon, que dirons-nous de ces bourses, oracles éternels de la république, sources inépuisables de fonctions et de titres, autour desquelles le parti vainqueur avait le privilège de monter la garde ! Quand les Médicis furent exilés pour la troisième fois et que la république sembla renaître avec la liberté, le peuple ne fut content que lorsqu’on eut promis le rétablissement des bienheureuses bourses. Ces républicains qui allaient se défendre avec un admirable héroïsme contre les armées du pape et de l’empereur ne se crurent libres que le jour où l’on fit briller à leurs yeux la flatteuse perspective de la loterie du pouvoir.

Il est bien que tout citoyen ait sa petite action, son influence sur le gouvernement de son pays ; mais si la liberté est le self-government, un individu la possède sans la moindre parcelle de puissance et même sans le droit au suffrage, pourvu qu’il trouve une garantie réelle dans le suffrage des autres. Êtes-vous partisan du self-government, c’est dire que vous voulez — non pas pouvoir quelque chose sur autrui, mais pouvoir tout sur vous-même, user librement de toutes vos facultés, dire et faire tout ce qui vous plaît, à la condition de respecter dans les autres la même liberté. Cette liberté toute personnelle est votre bien et votre trésor, c’est ce que vous exigez absolument de la société, et vous êtes persuadé que la société n’existe que pour vous l’assurer. Le moment vient-il d’élire les magistrats, vous exprimerez votre suffrage, ou vous publierez votre opinion en vous inquiétant de savoir non pas d’abord qui gouvernera, mais avant tout comment vous serez gouverné. Au contraire, si vous êtes partisan de la liberté considérée comme un droit de cité romaine, comme une part au commandement et à la souveraineté, vous songez moins à vous défendre de l’ingérence des autres dans vos volontés personnelles qu’à peser pour votre part dans la volonté générale; vous vous liez vous-même à l’état pour le pousser où vous voulez; vous faites tout pour y lier les autres.

Voilà la liberté dont les Florentins étaient partisans, et ils mouraient volontiers pour elle. Les conséquences sont faciles à deviner : une dispute acharnée du pouvoir, point de principe, point d’idée, si ce n’est la guerre des classes entre elles, et encore cette guerre était-elle obscurcie et rendue confuse par le mélange des partis et le mensonge des noms; la loi faite pour une portion non pour la totalité des citoyens, la minorité privée de tout droit, même de ce-