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diter sur la faute d’entendre si mal la liberté. La majorité, qui s’était comptée, avait cru qu’elle était libre d’agir sans entendre la minorité. Évidemment elle prenait la liberté pour le pouvoir. Bien plus, elle avait suivi le règlement. Cent livres! deux cents livres! trois cents livres d’amende! avait crié le président, quoi de plus légal? Oui, mais avec de telles manières de comprendre la liberté le gouvernement libre était impossible. Otez à la minorité, en vertu de quelque règlement que ce soit, le droit de parler, c’est, comme nous l’avons dit plus haut, intervenir d’une manière illégitime dans l’exercice de son droit, c’est enlever à des citoyens et par conséquent à tout le monde le self-government.

Ainsi, du côté de la majorité, quand on avait compté les voix d’après la mesure de bruit et de tumulte que faisaient les oui et les non sur la place publique, on passait à l’action, et l’on se croyait un peuple libre. Du côté de la minorité, quand on avait la bonne fortune de n’être pas exilé, dépouillé, on attendait l’occasion, et l’on se promettait d’être plus habile. De part et d’autre, on regardait comme tout naturel, dès que la loi était gênante, de la changer à sa guise. « Les règlemens que tu fais en octobre, dit le poète à sa ville, n’arrivent pas jusqu’à la moitié de novembre[1]. » S’ils n’avaient pu changer de lois à mesure qu’ils changeaient de désirs, ils ne se seraient pas crus libres. « Impatience, dira-t-on, vivacité d’une race qui ne supporte pas les délais ! Les Florentins ne sont pas des Anglais, et voilà tout. » Sans doute la longanimité anglaise est incompatible avec le sang bouillant de cette race latine ; mais il s’agit ici d’autre chose que de sage lenteur, il s’agit de liberté. La liberté a des allures moins emportées. Elle n’existe pas parce qu’il y a une majorité connue ou supposée pour le changement de la loi. Pour qu’elle existe, il faut que tout citoyen ait eu le loisir de se faire entendre sur le changement de la loi. Un peuple nouveau dans la liberté va droit au but et se donne des lois nouvelles d’un trait de plume, comme si l’on était au lendemain de l’établissement de la société humaine. Un peuple ancien dans la liberté sait qu’il a de vieilles lois longtemps bienfaisantes et salutaires; il n’y change rien qu’après une longue enquête. — C’est encore là du self-government.

Est-ce comprendre la liberté que de croire qu’elle consiste à faire à chacun une part dans le gouvernement? La démocratie florentine le croyait sans doute, puisque c’était là le but visible où tendaient tous ses efforts. Elle le croyait si bien qu’elle n’admettait pas le principe de la représentation. Chacun exerçait dans l’occasion sa

  1. Purgatorio, VI, V. 143.