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D’où vient cette issue fatale? Le hasard est-il à la source de tous nos biens et du plus précieux de tous, la liberté? Faut-il s’en tenir au scepticisme et dire avec le poète :

Quelquefois l’un se brise où l’autre s’est sauvé,
Et par où l’un périt un autre est conservé.


Sans vouloir réduire une question si sérieuse à un jeu de mots, nous pouvons dire que le débat en question n’a été chez les Florentins qu’un combat perpétuel et sanglant. Il y a des avantages sociaux qui s’obtiennent par la libre discussion; ils sont des conséquences nécessaires de la loi de justice qui est dans l’âme humaine. Tant que la violence ne se mêle pas au procès, la raison de ceux qui en jouissent ne peut les refuser longtemps à la raison de ceux qui en sont privés. Ces avantages constituent la liberté. Il y en a d’autres qui ne sont pas nécessaires, qui ne découlent pas naturellement de la loi de justice et de notre qualité d’êtres raisonnables. Ceux-là n’appartiennent pas à tous, ils n’existent pour les uns qu’à la condition de ne pas exister pour les autres. Un mot les renferme tous, le pouvoir. Quand les citoyens sont moins jaloux de liberté que de pouvoir, comme leur droit sur ce dernier est moins évident, la force ne tarde pas à devenir le juge du différend. Alors le procès se vide les armes à la main, la discussion s’écrit avec du sang, les argumens sont des exils, des supplices. Parce qu’ils ont préféré les biens qui ne pouvaient être à tous, les Florentins ont perdu ceux dont ils pouvaient tous jouir. Ils ont confondu la liberté avec le pouvoir.

Pour leur honneur, les Anglais l’ont mieux entendue : par ce mot de self-government, ils en ont donné une définition meilleure peut-être que celle de Montesquieu. Ce n’est pas un synonyme de droit au gouvernement; si cela était ainsi, les Florentins auraient eu le self-government : ils étaient républicains. Ils avaient pour but non pas d’échapper à l’intervention illégitime d’autrui dans leurs volontés, ce qui est proprement le self-government, mais de pouvoir intervenir eux-mêmes dans les volontés d’autrui. Ils ne cherchaient pas à se rendre libres de la tyrannie, ils cherchaient à exercer leur part de l’autorité tyrannique. Le peuple faisait-il une révolution, de quoi s’occupait-il aussitôt? Était-ce d’augmenter la liberté, d’alléger les entraves en diminuant l’action du gouvernement sur les particuliers, de supprimer l’espionnage? Nullement, il décidait qu’un plus grand nombre d’hommes exerceraient le droit d’imposer des entraves, de faire sentir l’action du gouvernement aux particuliers, d’être de confidence dans l’espionnage. Dans une société où de telles idées sont dominantes, il n’y a pas de liberté. Quand