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Machiavel, que la désunion et la faiblesse de l’Italie n’ont d’autre cause que ce pouvoir. Quels sont les papes qu’il poursuit de sa haine la plus ardente? Ceux-là peut-être qui ont abusé de la qualité de princes et du droit de l’épée? Nullement. Les papes qu’il déteste sont ceux qui ont sacrifié l’Italie. En ce siècle même d’unité, Jules II est populaire, et je ne vois pas que M. Giudici soit bien sévère à son égard.

Quel que soit le lustre jeté sur le nom et le livre de M. Giudici par le courage heureux de sa plume et par le mérite aujourd’hui fort apprécié d’avoir deviné l’avenir, il faut maintenir les droits de la critique en indiquant de quelle manière il appartient aux idées du néo-gibelinisme. Nous ne méritons, qu’il le croie bien, en aucune façon d’être compté au nombre de ces sophistes étrangers dont il parle au commencement de son premier livre, qui veulent que la division soit l’état naturel de la péninsule et refusent à la nation le droit de prétendre à l’unité. Nous n’avons même pas lu sans une émotion de plaisir la page éloquente où, rappelant un beau mouvement de Pitt dans le parlement anglais, il demande aux nations constituées et maîtresses d’elles-mêmes ce que dirait en les voyant un de leurs ancêtres barbares, si, tout à coup sortant de la tombe, il pouvait avoir le spectacle de leur grande et glorieuse civilisation[1]. Oui, nous devons songer à ce que nous avons été, si nous voulons nous montrer justes et humains envers ceux qui n’ont pas le bonheur d’être encore ce que nous sommes. Cette leçon, la France se l’est faite à elle-même spontanément. Si les partisans de l’unité italienne ont pu croire quelque temps qu’elle manquait de cette justice et de cette humanité, elle les a, je pense, amplement détrompés; mais parce que l’on veut avec raison l’unité nationale au XIXe siècle, ce n’est pas un motif pour en chercher l’apparence et le fantôme au moyen âge.

Le savant et patriote écrivain admire avec tous les hommes de bon sens l’incroyable activité de ces communes italiennes, véritables ruches de civilisation, de richesse, d’art et de littérature. Personne n’a mieux indiqué la direction à suivre pour découvrir le secret de ces organisations ouvrières et commerçantes. Il nous est, grâce à lui, assez facile de voir qu’une ville italienne était une agglomération de petites sociétés pratiquant l’industrie ou le commerce, et dont les membres se servaient de garantie mutuelle. Les plus riches de ces sociétés, de ces consorterie, comme on les appelait, étaient les arts majeurs, ceux qui avaient l’argent; les plus modestes étaient les arts mineurs, que les autres faisaient vivre et qui

  1. Storia dei Comuni italiani, t. Ier, p. 10.