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de jeter dans l’Arno le superflu des eaux de la Clanis, aujourd’hui la Chiana[1]. Quand on lit cette page de Tacite, quand on voit sous le règne de Tibère le petit municipe étrusque s’inquiéter des mêmes dangers d’inondation que seize siècles après, lorsqu’il était devenu la riche Florence des Médicis, il y a une sorte de surprise pour l’esprit. L’imagination séduite effacerait l’intervalle immense des temps et saluerait volontiers dans les deux cités un même nom, un même peuple, un même esprit, si la raison, se tenant sur ses gardes, ne voyait clairement qu’il y a dans cette Etrurie de la plaine une Etrurie moderne, la Toscane, bien différente de celle que les vieux Étrusques bâtissaient sur les hauteurs. Non, une organisation sociale tout entière, une civilisation nouvelle et d’une incomparable fécondité n’est pas née d’un débris de l’empire romain décomposé sans qu’une révolution profonde se fût accomplie dans la société, sans qu’une nouvelle force vitale lui eût été communiquée. Non, le monde italien n’est pas un simple prolongement du monde romain.

Entre deux écoles historiques si différentes, imitons Montesquieu au moment où il va s’enfoncer dans les voies obscures du moyen âge; ayons présentes à l’esprit ces paroles que le dieu du jour adresse à son fils Phaéton quand il lui cède les rênes du céleste attelage : « suis la route du milieu, » inter utrumque tene. La vérité n’est pas néo-guelfe, elle n’est pas davantage néo-gibeline. La papauté et l’empire ne sont pas tout, il y a encore la nation, c’est-à-dire les communes, qui avaient une vie individuelle très puissante. Dans les déclarations de Grégoire VII et des papes qui ont soutenu les mêmes doctrines, le pouvoir pontifical est comparé au soleil, astre souverain, source de toute clarté, et le pouvoir des empereurs et des rois à la lune, astre inférieur et dont l’éclat est emprunté au soleil[2]. Il semblerait que les historiens italiens, ne voyant que ces deux astres dans le firmament de leur histoire, croient volontiers que tout est fait, s’ils ont décidé lequel des deux est le soleil ou la lune; mais, outre la lune et le soleil, il y a la terre. Entre les souverains et l’église, il y avait les communes, et elles ne faillirent pas à la fortune qui les favorisait. La puissance et la liberté durables sont celles qui se sont créées elles-mêmes, les communes italiennes le montrèrent une fois de plus; elles furent redevables de leur existence surtout à leurs propres efforts et à l’habileté avec laquelle elles profitèrent des chances heureuses du sort. Florence grandit par la résolution et par le courage de ses habitans tout au moins

  1. Tacite, Annales, I, 79.
  2. On rencontre cette idée dans la Satire Ménippée, qui l’attribue à Innocent III.