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dies, où les rois y traduisaient Dante en revenant d’herboriser dans la montagne ; galante, hospitalière, poétique réminiscence des Ferrare du moyen âge et de notre xviiie siècle, conte de fée en pleine Europe, Dresde, ville des porcelaines, des éventails, des laques, des rocailles, des musées,

Qui changera nos yeux pu deux ruisseaux de larmes
Pour pleurer tes malheurs ?

Weber, comme les poètes romantiques de la période allemande et française, s’évertuait à découvrir des formes nouvelles. Tout en s’acheminant vers l’opéra, terme supérieur et définitif de sa vocation, il expérimente jusqu’à trente ans. Musique de piano, musique instrumentale, le simple catalogue de ces publications vous renseignerait au besoin sur la tendance, l’effort vers la nouveauté. Ce sont des valses, des caprices, des sérénades, des rondos, des fantaisies, des pièces diverses. Que nous voilà déjà bien loin de la sonate classique et en même temps bien près des romances sans paroles ! La musique instrumentale de Weber porte dès l’origine les pressentimens du goût moderne, et partant ne saurait jamais être classique. Ses grandes sonates visent à l’effet ; on y sent le virtuose de concert comme dans les sonatines à quatre mains ; on saisit au passage des motifs d’opéra : Haydn, Mozart, Beethoven, vivent dans leurs symphonies, leurs quatuors ; Weber y campe seulement, les yeux tournés vers le théâtre, sa vraie terre promise. Aussi n’a-t-il pas en ce point de plus rudes adversaires que les dévots du vieil Haydn, et de leur côté les fougueux partisans de Mendelssohn, restaurateur de l’art classique, ne lui pardonnent pas d’avoir été le premier maître qui se soit permis de ne pas écrire une sonate dans les règles.

Heureusement que Weber possède assez d’autres mérites pour se dédommager d’offrir sur ce terrain prise à la critique. Weber n’était pas seulement un musicien, c’était aussi un esthéticien, un écrivain ; c’était surtout et partout un artiste dans la plus vaste acception du sens moderne : type entièrement neuf que celui-là, et très particulier à notre époque. Le XVIIIe siècle peut bien en effet avoir produit plus d’un musicien littérateur et par contre plus d’un littérateur musicastre ; mais un maître, un génie, se faisant en quelque sorte son propre scoliaste et de sa plume de critique marquant la voie à sa musique, la lui frayant au besoin, voilà ce qui jamais encore, avant Weber, ne s’était vu. à fut l’ancêtre de toute cette famille remuante de musiciens qui de nos jours ont agité la presse ; les Schumann, les Wagner, les Berlioz, les Liszt, investissant, assiégeant, conquérant le théâtre à coups de brochures et d’articles de