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les colères de Jupiter-Goethe, il fallait ce quelque chose contre quoi ni le goût ni les puissances ne sauraient prévaloir, et qu’on nomme la circonstance. La période dite de tourmente avait accompli sa mission. Un art exclusivement classique n’eût répondu à aucun des besoins immédiats de l’heure présente. Songez que l’Europe était en feu, que Napoléon écrasait tout sur son passage. Il s’agissait d’enflammer les esprits, de relever la foi dans les âmes. L’art classique, lui, ne s’émeut point; quels que soient les événemens, il reste calme, imperturbable; il n’est ni français, ni allemand, ni anglais, ni russe; son règne n’est pas de ce monde. Au romantisme seul appartient l’honneur de connaître la nationalité, le patriotisme. Ne rien emprunter à l’étranger, puiser dans les traditions mêmes du sol l’inspiration, le génie de sa défense, raviver les croyances d’un passé victorieux alors que l’indifférence serait la honte et la mort, voilà ce qu’à certains jours de l’histoire moderne a su faire le romantisme. Il était avec nous aux croisades; à Leipzig, il nous a vaincus.

On a beaucoup reproché aux romantiques allemands, et peut-être aussi aux nôtres, de s’être rendus coupables de la vieille erreur des classiques, d’avoir à leur tour donné dans l’exclusivisme et le conventionnel, en un mot de s’être fabriqué un moyen âge qui, comme la Grèce de Racine et de Soileau, n’exista jamais autre part que dans leurs cervelles. Il se peut que cela soit vrai, en tout cas le blâme ne s’appliquerait qu’aux hommes. Coterie ou cénacle, les romantiques composèrent un ensemble d’ouvrages où le mauvais se mêle au bon, ainsi qu’il arrive en toutes choses. Dans leur jardin, où s’épanouissent des fleurs splendides dont l’éclat n’est pas près de s’éteindre, il y eut de l’ivraie, qui en doute? mais au-dessus des hommes plane l’idée, au-dessus des romantiques le romantisme, qui, dans les foyers comme sur les champs de bataille, fut la véritable âme de l’Allemagne pendant la guerre de l’indépendance. Étant dans la poésie du peuple allemand, le romantisme devait être aussi dans sa musique; il y fut par Weber.

Le Chant de l’Epée, la Chasse effarée de Lutzow, la Prière avant le Combat, tous ces hymnes entraînans, sublimes, tous ces airs inspirés par la muse fraternelle de Théodore Koerner portent une date imprescriptible. Aujourd’hui encore, si loin des événemens dont le choc les fit jaillir comme de fulminantes étincelles, ces admirables morceaux conservent intacte leur popularité; nul ne les peut entendre sans enthousiasme. « Ce Te Deum révolutionnaire, disait Goethe en parlant de la Marseillaise, même sous la forme calme et pathétique dont il se présente, a quelque chose de profondément tragique et sombre. » En effet, rien de plus solen-