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tille à l’ancre, il n’y aperçut qu’un seul bateau ponté. Les facteurs y étaient cependant arrivés avec leur ivoire et trois mille esclaves. Baker apprit alors que les autorités égyptiennes, sous l’impulsion des gouvernemens européens, avaient pris des mesures pour supprimer la traite, et que quatre vapeurs naviguaient sur le Nil pour s’emparer des vaisseaux négriers. On lui dit aussi que la peste s’était déclarée à Karthoum, qu’elle y avait fait quinze mille victimes et emporté presque tous les marins, enfin que le Nil se trouvait barré sous le 9° de latitude nord par une accumulation énorme de matières végétales, et qu’il avait fallu employer les équipages de trente navires à creuser un canal, afin que la navigation ne fût pas interrompue. Par une heureuse fortune, le bâtiment à l’ancre en ce moment appartenait à Courshid, qui venait chercher l’ivoire qu’Ibrahim devait lui apporter. Baker l’affrète pour la somme de 1,000 fr. et s’embarque avec ses treize fidèles soldats. Il descend tranquillement le Nil et arrive à la fameuse digue sous laquelle le fleuve se précipitait avec tant de violence qu’un navire chargé d’ivoire, étant venu donner en flanc contre le barrage, avait disparu sous l’eau. Grâce à l’habileté de ses manœuvres, Baker évita ce danger, mais pour tomber dans un autre bien plus grand. La peste éclata dans son équipage. Elle s’annonçait par une forte hémorrhagie nasale accompagnée de douleurs aiguës dans les reins et les jambes ; la cornée devenait jaune orange, et le délire s’emparait presque aussiitôt du malade. Trois de ses gens moururent, et parmi eux un jeune homme qui lui avait montré dans les momens les plus difficiles le plus entier dévouement. Le 5 mai, il parvint à Karthoum, où il reçut le plus flatteur accueil de toute la population européenne. La peste avait disparu après avoir fait d’affreux ravages et enlevé les neuf dixièmes de la garnison. Les autorités, stimulées par un envoyé du consulat français d’Alexandrie, M. Garnier, faisaient de grands efforts pour mettre un terme au fléau de la traite. L’année précédente, deux négriers avaient été saisis, et on en avait retiré huit cent cinquante esclaves, les uns morts, les autres mourans ou malades. C’est à cette horrible cargaison que l’on attribuait l’introduction de la peste dans la ville. Après avoir réglé les comptes de ses treize hommes, qui eurent comme complément de paie jusqu’à trente napoléons chacun, Baker reprit le 1er  juillet son voyage sur le Nil et s’arrêta à Berbère, où il reçut la plus aimable hospitalité dans une famille française, chez M. et Mme Lafargue. Pour éviter la traversée du désert de Berbère à Korosko, dont la température est intolérable au mois d’août, il quitta la voie du Nil, loua des chameaux et des guides, prit la direction de l’est et arriva en vingt-quatre jours à Souakim, port maritime sur la Mer-Rouge ; c’est une