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à Baker son drapeau, s’imaginant qu’il renfermait une vertu qui terrifierait l’ennemi. Baker lui fit comprendre que dans cette circonstance il n’aurait aucun pouvoir, et l’engagea sagement à quitter la ville, qui pouvait être enveloppée de toutes parts, et à se retirer à Karouma, où il lui serait facile de se fortifier en attendant qu’Ibrahim revînt de Gondokoro. Fuir entrait tout à fait dans le plan de campagne de Kamrasi. Il suit ce conseil, abandonne Kisona et va dresser son camp en face des chutes de Karouma. Ibrahim en effet ne tarda point à paraître avec une compagnie de cent hommes. Les Waganda en l’apprenant se retirèrent, et Kamrasi, vainqueur sur toute la ligne, récompensa Ibrahim en lui faisant un riche présent de dents d’éléphans.

Cette générosité devait hâter le départ de Baker. Le facteur de Courshid, ayant complété par un bonheur inespéré sa provision d’ivoire, crut prudent de la transporter à son dépôt de Shoa, pour la remettre le plus tôt possible entre les mains de son commettant. Il se mit donc en route, accompagné du voyageur anglais, le 17 novembre 1864, après avoir laissé trente hommes pour protéger Kamrasi. Sa caravane, composée en grande partie de porteurs du pays, s’élevait à plus de mille personnes. Le 23, ils arrivèrent à Shoa, où ils durent rester trois mois. Possesseur de vingt-quatre mille livres d’ivoire, qui valaient 240,000 francs, Ibrahim avait besoin de huit cents hommes pour porter cette marchandise à Gondokoro, car les Wanyoros étaient retournés dans leur pays ; mais où trouver une colonne aussi considérable dans une contrée dépeuplée par la guerre que lui-même fomentait ? Ce ne fut qu’après des efforts inouïs qu’il parvint à engager son régiment de porteurs au prix de quatre vaches par homme payées d’avance. Presque tous étaient en deuil, c’est-à-dire qu’ils portaient une corde roulée autour de leur cou et de leur taille. — La caravane s’ébranle, mais au premier bivouac les porteurs décampent et abandonnent leur oppresseur avec ses richesses. Ibrahim se voit forcé de rentrer à sa station et ne prévoit pas le moment où il pourra reprendre le chemin de Gondokoro. Néanmoins, à la prière de Baker et au prix d’une carabine de 1000 francs, il consent à l’accompagner en laissant une partie de ses hommes à la garde de son dépôt. Ils prennent la direction du nord-est et retrouvent le Nil sous le 3° 34′ de latitude nord, et, comme des hauteurs de Magungo notre voyageur l’avait vu se détacher du lac sous le 2° 45′, il ne pouvait conserver le plus léger doute que le fleuve qu’il allait suivre jusqu’à Karthoum ne fut le même que celui qu’il avait vu sortir du Louta-N’zigé.

Le 23 mars 1865, deux ans après en être parti, Baker arrivait à Gondokoro ; mais au lieu de trouver, comme il l’espérait, une flot-