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objection très naturelle qui l’exaspère, telle erreur des plus excusables qui lui crispe les nerfs. Cette façon d’écrire est désagréable ; elle a de plus l’inconvénient de nuire à la justesse.

Dans les conclusions de l’auteur, il y a des idées assez rebattues et qui ont une apparence plausible, il en a de nouvelles et que nous avouons ne pas comprendre. Il semble toutefois que l’opinion craigne de se laisser entraîner par une analogie trompeuse, tant elle hésite à mettre cette propriété de fraîche date sur la même ligne que l’antique propriété de la terre et des choses. Quand M. Yves Guyot revendique la liberté des recherches au nom de l’inventeur et de la science, il nous étonne : qu’est-ce donc qui s’y oppose aujourd’hui ? Il n’y a plus de Sorbonne ni d’inquisition pour mettre l’esprit d’aventure en interdit ; libre à chacun de passer sa vie et de se ruiner à chercher le grand œuvre. Nous ne voyons pas du tout ce qui peut empêcher l’inventeur de chercher dans toutes les voies, à ses risques et périls, d’éviter les grandes routes et de préférer les sentiers non frayés ; nous ne voyons pas ce qui peut l’empêcher de poursuivre partout la vérité, de la proclamer lorsqu’il croit l’avoir saisie, de la démontrer, de la défendre, et, quand il aura fait des adeptes, c’est-à-dire trouvé des capitalistes, de la réaliser à son profit et au nôtre. Les inventeurs ont à combattre, nous le savons bien, l’inertie naturelle de l’esprit humain, les résistances de la tradition et de la routine, l’opposition des intérêts menacés, les partis-pris aveugles. On ne désarme pas tout cela sans combat. Que les académies aient leurs préjugés, personne ne l’ignore, et qu’elles se soient trompées plus d’une fois en traitant de chimère ou d’erreur des inventions dont les académiciens profitent comme tout le monde maintenant, il n’y a pas là de quoi se mettre en courroux. Les académies représentent la règle et la discipline dans la science, l’esprit de conservation, la résistance. La discipline est quelquefois gênante sans doute, la résistance aveugle et maladroite ; mais est-ce une raison pour demander la suppression des académies ? Leur autorité est-elle vraiment si tyrannique ? Et pour qui n’ambitionne pas leurs couronnes, ne suffit-il pas qu’il y ait à côté d’elles le grand tribunal du bon sens public, auquel chacun peut faire appel ?

Il est bizarre qu’au moment où il se déclare contre les académies, M. Guyot s’abandonne à un dithyrambe en faveur de l’association. A l’entendre, l’association est le salut du genre humain et en particulier de l’inventeur ; elle seule peut le protéger, l’aider, l’affranchir, mettre à sa portée les lumières dont il a besoin, réunir dans sa main tous les fils de la tradition, lui assurer le profit et la gloire légitimes qui lui manquent trop souvent. Il y aura de cette façon des séminaires et des collèges d’inventeurs qui répondront à point, nommé à tous les besoins de l’humanité, si même ils ne les devancent. Sans regarder l’association comme un remède à tous les maux, nous la tenons en grande estime ; mais nous ne voyons pas trop ce qu’elle peut faire ici. Nous nous étions figuré que les inventeurs étaient toujours clairsemés et jetés au hasard dans le monde. Il nous semblait que la puissance du génie inventif était avant tout dans la réflexion solitaire, qu’il avait d’ordinaire ses voies à lui, souvent fort imprévues, et qu’il se jouait volontiers de méthodes. Il nous apparaissait en un mot comme un accident