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d’autres ne prenaient qu’un demi-bain, mais complétaient leur toilette en s’arrosant abondamment le dos et les épaules au moyen de leur trompe.

Le dixième jour, la scène change, le lac se resserre, les montagnes de l’ouest se dessinent peu à peu aux regards, et Baker commence à distinguer les vastes forêts qui en tapissent les flancs. Le sable et les galets blancs de la plage sont remplacés par la plus étrange des végétations. Ce sont des papyrus et des joncs qui poussent sur une couche épaisse et flottante de végétaux aquatiques en décomposition. Croyant qu’il approchait des bords du lac, il voulut en sonder la profondeur avec un bambou de 25 pieds, mais il ne put en atteindre le fond. Il continua sa navigation en faisant filer ses embarcations entre les fissures de ce sol mobile, et pénétra dans un canal large et profond, bordé de chaque côté par une épaisse muraille de hautes graminées. Comme la surface de l’eau était aussi unie qu’une glace, il crut qu’il était à l’ouverture d’une baie. Il se trompait. Il apprit qu’il se trouvait à l’embouchure même du Nil, à l’endroit où il entre dans le lac pour en ressortir un peu plus au nord. Ayant aperçu dans la ceinture de papyrus qui le séparait de la rive une solution de continuité, il y pénétra et arriva bientôt dans une petite anse où il débarqua. Des indigènes vinrent à sa rencontre, lui offrirent de porter ses effets, et le conduisirent à Magungo, situé sous le 2° 16′ de latitude nord et le 29° 15′ de longitude est. Rien de plus gracieux que le chemin qu’ils prirent pour monter à ce village. Quoique la colline ait une pente rapide et parfois presque abrupte, la nature n’a pas laissé d’y disposer avec un art merveilleux les plus beaux spécimens de la flore de ces contrées. Le caractère des habitans de cette région privilégiée était hospitalier et généreux. Ils fournirent à la caravane du voyageur, fatiguée du long et laborieux trajet qu’elle venait d’accomplir, des vivres en abondance, chèvres, volailles, œufs, lait, beurre frais, et leur libéralité ne se démentit pas un instant. Des hauteurs de Magungo, Baker put étudier tout à son aise la partie septentrionale du lac, celle qu’il avait le plus à cœur de connaître. La chaîne de montagnes qui borde l’Albert-Nyanza à l’ouest se prolonge en suivant les mouvemens du rivage, puis s’abaisse subitement pour laisser la place au lac, qui fait un coude ; elle se relève ensuite pour former une ligne de collines et de rochers au pied desquels coule le Nil. À l’est et au nord, le pays est plat, et la vue peut embrasser cette partie du Louta-N’zigé dans son ensemble comme dans ses détails. Il se couvre d’une large bordure de papyrus et de bambous qui lui donnent, quand on le regarde du rivage, l’aspect d’un immense marais. Du point culminant où il se trouvait, le voyageur vit un ruban d’un vert très foncé se détacher de cette ceinture du côté du nord : ce ruban