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ment les difficultés dont l’obscurité alarme les foules déconcertées, où les vrais sentimens des nations pourront se faire entendre par de sages et éloquens organes, où la force des intérêts économiques pourra se faire sentir. Si l’on a ainsi le temps de se reconnaître, d’examiner de près les choses, de calculer la portée des actes, de faire face aux événemens, on saura se soustraire aux fatalités dont on se laisse vaguement obséder ; la raison, le bon sens, l’humanité, reprendront certainement leur empire sur la marche des choses.

Il est des personnes dans le monde politique qui semblent croire que les affaires d’Orient ne nous laisseront point le temps de rentrer dans cette paisible possession de nous-mêmes. Nous ne partageons point, on le sait, cette opinion ; nous sommes cependant forcés d’en tenir compte. Il est certain que les affaires d’Orient sont en ce moment non-seulement une cause de préoccupation pour le public, mais l’objet du travail diplomatique le plus actif des grandes puissances.

Le discours de la reine d’Angleterre à l’ouverture du parlement n’a fourni que de très maigres informations sur la forme et le résultat de cette action diplomatique. D’après ce discours, l’Angleterre, en commun avec ses alliées la France et la Russie, s’est abstenue de toute intervention dans les troubles intérieurs de la Turquie, et s’est appliquée à obtenir dans les rapports de la Porte avec ses sujets chrétiens des améliorations qui ne fussent point incompatibles avec les droits souverains de la Porte. Il n’est guère permis d’accepter cette vague assurance comme l’expression exacte des efforts de la diplomatie européenne. On assure que la froideur et la lenteur de la politique anglaise ont été pour d’autres cabinets une cause de surprise et de désappointement. On prétend que, l’Angleterre se mettant sur le second plan, on l’y laisserait, qu’on chercherait ailleurs les élémens d’un concert européen capable de modifier dans un sens favorable aux chrétiens leur situation vis-à-vis de la Porte. On assure que, pour arriver à ce résultat, on n’aurait point regardé comme chimérique une entente où s’uniraient la France, la Russie et l’Autriche. On ne pouvait assurément imaginer une combinaison moins vraisemblable. Il y a eu en Turquie, depuis un siècle, peu de crises intérieures où la main de la Russie n’ait été mêlée. Si le langage de la presse russe doit être considéré comme conforme à l’opinion moscovite et à la pensée du cabinet de Saint-Pétersbourg, on ne saurait méconnaître l’influence que la Russie exerce sur les troubles actuels de l’empire ottoman. L’expérience historique démontre que toutes les fois que la politique russe a soulevé une question d’Orient, elle avait en vue quelque entreprise qui était pour elle d’un intérêt européen. La Russie en 1772 faisait à la Turquie une guerre qui inspirait des craintes sérieuses à Marie-Thérèse et à Joseph II, craintes que révèlent les curieuses correspondances nouvelles de la reine de Hongrie et de l’empereur, qui viennent d’être publiées par M. d’Arneth. Quelle fut la solution de la question d’Orient de 1772 ? Ce fut le premier partage de la Pologne et la paix ménagé