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mais, maintenu dans sa généralité, il est irréfutable. C’est une erreur échappée à la clairvoyance de M. de Laveleye et qu’il rectifiera certainement, que le passage de sa préface où il doute de la transformation possible d’une divinité mythique en héros épique. Trop de mythes solaires, celui d’Hercule entre autres, prouvent le contraire. Chez les Germains comme ailleurs, un mythe solaire, ayant pris peu à peu la tournure d’une épopée terrestre, revêtit toujours de plus en plus les apparences d’une histoire réelle à mesure qu’il s’éloigna de son berceau. Sur ce thème populaire, qui fournissait de prime abord des combats, des amours, des vengeances et des catastrophes, la fantaisie poétique a brodé mille incidens divers, sans toutefois dénaturer jamais entièrement la donnée primitive. C’est ici que des événemens réels ont pu jouer plus d’une fois le rôle dont nous avons parlé, fournir des données, suggérer des développemens. Les noms propres de personnages restés célèbres ont pu surtout se substituer aux noms mythiques originels ; mais quels furent ces événemens réels ? Quels furent ces personnages ? Voilà ce qu’il sera toujours impossible même de conjecturer. Il y eut certainement dans la période anté-historique des peuples germains d’autres guerres, d’autres jalousies féminines, d’autres vengeances longuement préméditées, d’autres convoitises poussant au crime, que celles qui nous sont racontées à l’aurore de leur histoire. Toutefois, puisque plus on remonte le cours du temps, moins l’histoire réelle détermine la narration poétique, puisque les emprunts ultérieurs à l’histoire connue se réduisent à des noms et tout au plus à quelques analogies vagues, il est à croire que l’influence de l’histoire inconnue fut plus restreinte encore. On retrouverait plutôt l’histoire réelle de Charlemagne dans les romans du cycle carlovingien que celle de Siegfrid et des Nibelungen dans les poèmes dont ils sont les héros.

La discussion prolongée à laquelle nous avons soumis la question de la valeur historique de l’épopée allemande nous permettra d’être