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S’il y avait de l’histoire à la base de nos récits épiques, les sagas du nord, étant d’une antiquité plus grande, plus rapprochées des événemens supposés, devraient avoir aussi un caractère plus historique. C’est le contraire qui a lieu. Beaucoup plus mythiques, les sagas présentent moins encore de points de contact avec le monde réel que le lied allemand. Il n’y est nulle part question des princes burgondes. Sigurd est venu du sud, des bords du Rhin, du pays franc, et le Hunenland ou Hiunenland, dont il est parlé comme du royaume d’Atli, ne paraît avoir rien de commun avec l’empire d’Attila. Il doit être situé dans l’Allemagne du nord. Il faut savoir que le nom de Huns ou Hiunes n’a pas été seulement le nom des Tartares envahisseurs de l’empire. Il a dû désigner aussi un peuple mythique ou réel dont le souvenir est resté comme celui d’un peuple de géans, très puissans et très forts, quelque chose d’analogue aux Gebôrim de la légende orientale. C’est ainsi qu’aujourd’hui encore, dans les provinces néerlandaises et dans l’Allemagne du nord, on désigne indifféremment par le nom de Hunnenbed (lit de Hun) et par celui de Reusenbed (lit de géant) les monticules artificiels qui doivent avoir servi de sépulture à d’anciens chefs de tribu[1]. Atli lui-même, dont le nom, d’après M. Grimm, signifie grand-père, serait-il, dans les poésies scandinaves, l’écho plus ou moins défiguré du fameux roi des Huns historiques ? Rien absolument ne le prouve, et il est bien plus vraisemblable que l’analogie fortuite du nom d’Atli avec celui d’Attila dans un temps où ce dernier, moins impopulaire au-delà qu’en-deçà du Rhin, planait vaguement dans les souvenirs comme celui d’un grand potentat des siècles passés, que cette analogie, dis-je, suffit pour expliquer pourquoi la tradition de l’Allemagne du sud a identifié ces deux personnages.

Enfin il ne faudrait pas se figurer que la légende de Sigurd-Siegfrid, de ses exploits, de sa conquête du trésor, de ses amours et de sa fin tragique, n’ait donné lieu à un cycle de poésies héroïques que dans l’Allemagne du sud et dans le nord scandinave. Moins brillamment développée ailleurs, autant du moins que les documens parvenus à notre connaissance nous permettent d’en

  1. M. Raszmann, dont nous avons cité plus haut l’ouvrage, croit même pouvoir désigner le peuple germain qui aurait porté le nom de Hun conjointement avec un autre nom resté dans l’histoire. Ce seraient les Marses, qui habitèrent longtemps la Westphalie et surtout les environs de Soest, où la légende du désastre des Nibelungen a été localisée par la tradition populaire du pays. Parmi les preuves alléguées par M. Raszmann, preuves qui, soit dit en passant, pourraient être plus convaincantes, se trouve cette curieuse remarque, tendant à montrer avec quelques autres que les noms de Marse et de Hun ont été employés comme synonymes, savoir que notre expression maritime mât de hune se traduit en allemand par marsbaum (hollandais marsmast), et se traduisait par hûn dans le vieux norrain.