Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 66.djvu/911

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comparer à Ruediger. Quand une religion plus pure aura adouci ces rudes barbares et leur aura mis au cœur un peu de cette tendresse, de cette sympathie humaine qui leur manquent, on verra bien qu’avec eux un nouvel esprit se répand dans le monde. Le poème des Nibelungen a tout le charme particulier aux origines des grandes choses.


IV.

Ses origines à lui-même donnent lieu à des questions étroitement liées qu’il nous reste à examiner.

Et d’abord quelle est la valeur historique des traditions qu’il a fixées ? Aurions-nous en lui un document qui, toute part faite à la poésie, jetterait quelque jour sur l’histoire encore si peu connue du premier âge des peuples germains ? Ou bien faut-il renoncer à cet espoir qu’on a quelquefois conçu ?

M. de Laveleye a mis en tête des fragmens traduits des Eddas une éloquente et savante introduction où ces diverses faces du problème sont étudiées avec le soin consciencieux que l’honorable professeur apporte dans toutes ses recherches. S’il est permis de juger un peu des autres par soi-même et de leurs travaux par ses propres tentatives, nous ne pouvons qu’admirer le courage avec lequel M. de Laveleye a plongé dans les eaux les plus troubles de la critique allemande pour en retirer un certain nombre de faits avérés et d’hypothèses d’une haute vraisemblance. Si cela ne contente pas encore sur tous les points notre curiosité, l’esprit y gagne pourtant cette satisfaction que procure la connaissance partielle de la vérité jointe à l’espoir fondé de la mieux connaître par la suite. Sur quelques points de détail seulement, nous aurions à émettre des opinions un peu différentes, si du moins il faut appeler différences ce qui se réduit à des nuances que des explications réciproques feraient probablement disparaître.

Ainsi, pour signaler une de ces légères divergences, j’inclinerais moins que M. de Laveleye à penser qu’il y a de l’histoire dans les merveilleux récits du cycle des Nibelungen. Ce n’est pas que lui-même prétende en avoir trouvé beaucoup ; mais il penche à croire que des faits historiques, inconnus de l’histoire documentée, sont à la base des traditions amplifiées par les chantres du moyen âge allemand. Pour ma part, je ne vois pas le moindre motif de penser qu’aux époques reculées où les lais des Nibelungen commencèrent à circuler, l’histoire y ait joué un plus grand rôle qu’aux époques relativement modernes où ces chants se sont condensés et organisés en épopée.