Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 66.djvu/896

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sies septentrionales, telles que la Wœlsungasaga, la Normagestssaga, les chants populaires danois et les chants si curieux des îles Féroé[1], nous retrouvons des données analogues à celles qui forment le fond des Nibelungen germaniques : mêmes personnages principaux, mêmes situations fondamentales, mêmes catastrophes. D’incontestables, d’étroites ressemblances de noms de personnes et de lieux achèvent de démontrer la conformité des deux traditions. Il y a des différences sans doute, et même elles sont nombreuses ; mais elles ne sauraient voiler l’unité originelle de ce double fleuve de légendes héroïques, et elles tendent le plus souvent à assurer aux chants scandinaves sur le poème allemand l’avantage de présenter la tradition commune sous sa forme la plus antique. Ce dernier par exemple est chrétien ; il l’est aussi peu que possible, mais enfin il l’est ; les chants du nord, au contraire, sont encore tout païens. Le fond mythique, surnaturel, commun aux deux cycles, est sur le premier plan chez les Scandinaves ; il est déjà relégué en arrière chez le poète allemand. De nombreux détails que celui-ci a enregistrés sans les expliquer n’ont trouvé leur explication qu’à l’aide d’une comparaison attentive avec les sources septentrionales. En deux mots, le poème des Nibelungen suppose, pour être compris, la connaissance de la tradition scandinave bien plus que celle-ci ne suppose la connaissance du premier. C’est pourquoi, et afin d’éviter d’inutiles répétitions, nous commencerons par résumer et coordonner aussi clairement que possible les principales indications que les poésies scandinaves nous fournissent relativement

  1. Le mot Edda veut dire la bisaïeule et convient admirablement à la vieille tradition racontant les choses d’il y a bien longtemps. La Wœlsungasaga est une compilation, rédigée au XIIe siècle, de vieux chants relatifs aux destinées épiques de la famille des Wœlsungen, à laquelle appartient le Sigurd ou le Siegfrid des Nibelungen. La Nornagestssaga, écrite au XIVe siècle, est censée contenir le récit du vieux skalde Nornagest, narrant peu avant de mourir au roi Olaf les événemens dont il aurait été lui-même le témoin trois cents ans auparavant. Ce vieux skalde est bien la personnification de la saga elle-même, qui s’en vient mourir à la cour du premier roi chrétien. Les chants populaires des îles Féroé sont une découverte relativement récente. C’est en 1817 qu’un jeune candidat en théologie, M. H. C. Lyngby, faisant une excursion botanique dans ce petit archipel, fut tout étonné de surprendre dans la bouche des pâtres et des pécheurs qui lui donnaient l’hospitalité des expressions et des sentences qui offraient un étroit rapport avec l’histoire des Nibelungen. Il entendit même chanter des strophes entières qui lui parurent provenir de l’Edda. De retour en Danemark, il annonça sa découverte, qui fit sensation, et, muni d’un subside royal, il retourna aux îles Féroé, où il réunit un certain nombre de chants qui remontent au temps des excursions maritimes des Normands. Depuis, une édition plus complète et plus exacte a été publiée aux frais de la Société royale de Copenhague, par M. Hammerschaimb. N’est-il pas intéressant de savoir qu’aujourd’hui encore il est un pays en Europe où, dans les veillées de l’hiver et les fêtes de l’été, on chante les exploits des héros des Nibelungen ?