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festes les plus opposés de l’opinion publique. Parmi les brochures qui pullulent à Leipzig, il y en a deux qui ont attiré particulièrement l’attention. La première porte ce titre : « Que va devenir la Saxe[1] ? » L’auteur s’attache surtout aux questions économiques, il montre combien l’activité de la Prusse a été bienfaisante, quelle impulsion féconde a créé le Zollverein, quelles sources de travail, de richesse, de moralité, il a ouvertes ; puis, se demandant ce que tout cela va devenir si la Saxe n’est-pas incorporée à la Prusse, il adjure le roi Jean de ne pas condamner son peuple à une situation impossible et d’abdiquer généreusement sa couronne. L’auteur de la seconde brochure intitulée La Saxe et la confédération du nord[2], est persuadé au contraire que la Saxe peut vivre et prospérer au sein de la confédération nouvelle en gardant son autonomie. On a ici en face l’un de l’autre les deux représentans des opinions extrêmes. La Saxe, dit l’un, ne vivait que par la Prusse ; après les événemens dont le gouvernement seul est responsable, après une guerre désastreuse que la nation saxonne ne voulait point, la Saxe étouffera, si elle ne devient prussienne. La Saxe, dit l’autre, peut vivre à côté de la Prusse, et elle vivra d’autant plus qu’elle ne se séparera ni de ses traditions propres ni de sa vieille dynastie. En d’autres termes, le premier, qui réclame l’état unitaire sous le sceptre des Brandebourg, représente le parti prussien ; le second, qui s’accommode d’une fédération, représente le parti saxon proprement dit. Eh bien ! à travers toutes ces différences, une inspiration commune les unit : c’est le même culte pour leurs traditions particulières, le même respect pour une famille royale si cruellement éprouvée. Celui-là même qui croit l’abdication du roi nécessaire au salut de la Saxe lui demande ce sacrifice comme à un homme digne de comprendre les plus hautes obligations de la souveraineté ; il le lui demande au nom de son caractère royal et de l’intérêt du peuple. Et quel sentiment de ce que vaut la nation saxonne, quelle revendication de ses titres, quand il s’écrie : « Ce ne sont pas seulement les relations commerciales qui nous relient à nos voisins ; nos mœurs, notre science, notre foi, tout ce qui est grand et beau dans notre vie, nous le possédons en commun avec eux, oui tout, notre langue, notre littérature, nos fêtes, nos désirs politiques ! Nous sommes protestans ; c’est par le protestantisme, dont les racines plongent dans notre sol, que notre civilisation, notre moralité, nos travaux intellectuels, notre industrie créatrice, ont porté depuis trois siècles des fruits aussi précieux que chez nos voisins de Prusse… » L’auteur en conclut que la Saxe doit être

  1. Was wird aus Sachsen ? Leipzig 1866.
  2. Sachsen und der norddeutsche Bund ; Leipzig 1866.