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nation prussienne les fautes de Frédéric le Grand, c’est imiter les déclamateurs qui reprochent sans cesse à la France les crimes de la révolution. Entre la Prusse de Frédéric ÎI et la Prusse du XIXe siècle, la différence est si grande que M. de Vitzthum lui-même n’a pu s’empêcher de la signaler. Dans l’emportement de sa colère contre Frédéric, il affirme que l’état créé par l’adversaire de Marie-Thérèse contenait des germes de ruine, que son despotisme militaire ne pouvait durer, que son œuvre a croulé en 1806 sous l’épée de Napoléon, et qu’une Prusse nouvelle a dû naître. Comment l’auteur n’a-t-il pas vu qu’un tel aveu était la réfutation de son pamphlet ? Oui, une autre Prusse est née en même temps que se formait une Saxe meilleure ; c’est avec cette Prusse nouvelle que la nouvelle Saxe devait se mesurer virilement au lieu de s’absorber dans la haine de la Prusse d’autrefois. Laissons les morts ensevelir les morts. Le monde marche et se régénère ; c’est avec les vivans qu’il faut vivre et agir.

Ces polémiques rétrospectives sont donc vaines et sans portée ; leur principal effet est d’égarer les esprits qui s’y livrent. Si M. de Vitzthum n’avait voulu montrer que des rapprochemens fort curieux entre la conduite de Frédéric et les procédés de M. de Bismark, au risque même de faire entrevoir des analogies du même genre entre l’imprévoyance de M. de Brühl et les imprudences de M. de Beust, on ne pourrait qu’applaudir à ces piquantes découvertes. Comment nier cependant qu’il ait cherché tout autre chose ? L’idée fondamentale de son pamphlet, c’est que l’esprit de la nation prussienne est un danger pour l’Allemagne, et que ce danger a commencé le jour où des intérêts nouveaux créés par le XVIe siècle ont fourni aux Allemands du nord l’occasion de mettre en pièces la vieille constitution impériale. Le traité de Westphalie est déjà pour lui une œuvre révolutionnaire et funeste. Ainsi le retour à l’ancien régime, c’est-à-dire à l’Allemagne du moyen âge, la soumission de l’esprit nouveau traité d’esprit rebelle, l’anéantissement de l’influence morale de la Prusse, voilà ce que rêvait M. de Vitzthum. Son livre n’est pas un livre saxon, c’est un livre autrichien ; encore faut-il ajouter un livre autrichien des temps à jamais disparus, une œuvre qui sent le XVIe siècle et la guerre de trente ans. En haine et par crainte de la Prusse, l’auteur renonce aux traditions naturelles de la Saxe, comme pour ne rien avoir de commun avec l’ennemi. Nous avons, nous, plus de fierté pour cette noble Saxe ; nous rappelant qu’elle a été l’alliée de la France dans nos grandes guerres, nous osons dire à ses enfans : Ne soyez ni Autrichiens, ni Prussiens ; soyez Saxons.

Fort bien, répondra-t-on peut-être ; vous oubliez seulement