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si grande, elle fit faire une enquête sur la situation des finances ; elle sut bientôt que les caisses du trésor étaient vides, et que depuis assez longtemps déjà, dans l’armée comme dans les fonctions civiles, les serviteurs de l’état ne recevaient point leur solde. On manquait d’argent pour mettre les soldats saxons à l’abri des coups de Frédéric II, on en manquait pour les besoins les plus urgens ; il s’en trouvait pour payer une chanteuse. Quand la reine apprit quelle masse de dettes pesait sur la couronne, elle ne put retenir ces mots : « Donc la chemise que je porte et le pain que je mange ne sont pas payés ! »

M. de Vitzthum a-t-il rendu un grand service à la Saxe du XIXe siècle en nous montrant, sans le vouloir, ce qu’était la Saxe au XVIIIe sous le gouvernement d’Auguste III ? Si la morale condamne Frédéric II, elle ne condamne pas moins le souverain saxon. Dans l’état où se trouvait l’Allemagne, la victoire appartenait d’avance, non pas au plus juste, hélas ! mais au moins efféminé. L’histoire des idées complète ici le tableau de M. de Vitzthum et lui donne son véritable sens ; on lit dans M. Gervinus que les Literatur Briefe de Lessing et Nicolaï mirent fin à l’école littéraire de la Saxe, à cette école empesée, formaliste, vivant d’imitations, image trop fidèle de l’étiquette de la cour et de la somnolence du pays. M. Gervinus va jusqu’à dire que ce manifeste célèbre a été dans l’histoire littéraire ce qu’a été la guerre de sept ans dans l’histoire politique ; il a porté du centre au nord le mouvement et la vie. Or qu’était ce grand Lessing ? Un Saxon, mais un Saxon qui ne voulait pas s’enfermer dans une atmosphère énervante. Ni Lessing en son temps, ni M. Gervinus aujourd’hui, ne peuvent être rangés parmi les courtisans de Frédéric ; ils ont reconnu cependant l’un et l’autre que le gouvernement des deux Auguste avait paralysé en Saxe l’élément germanique.

Est-ce à dire que la Saxe du XIXe siècle soit responsable de ce qu’a fait la Saxe au XVIIIe ? Non certes, pas plus que la Prusse de nos jours n’est responsable des actes de Frédéric II. Sachons voir chaque chose en son vrai jour ; gardons-nous de confondre le passé avec le présent, gardons-nous surtout de confondre les grands mouvemens des nations avec l’esprit des hommes qui exploitent ces progrès et trop souvent les compromettent. Frédéric II a sa grandeur malgré tout ce qui pèse sur sa mémoire ; la grandeur de la nation prussienne est bien autrement digne de respect et de sympathie. Cette grandeur s’est dessinée surtout dans la première moitié de notre siècle. Est-il besoin de répéter que nous parlons non pas de la politique de M. de Bismark, mais de la nation elle-même, de sa vigueur morale, de son labeur opiniâtre, de toutes ces fortes qualités qui font les races saines et prospères ? Faire rejaillir sur la