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« Arnim. — Ce serait là une chose dont l’histoire n’aurait pas encore fourni d’exemples, ni chez les anciens, ni chez les modernes.

« Le roi. — Pourquoi non, monsieur ? Si fait, il y en a… Et n’y en eût-il point, je ne sais si vous savez, monsieur, que je me pique d’être original.

« Arnim. — Si c’est là votre dernier mot, sire, il ne nous reste plus qu’à nous faire enterrer à notre poste.

« Le roi. — Bah ! ce sont là des phrases. Le soldat ne pense pas comme les généraux. Vous savez cela aussi bien que moi : si on ne lui donne pas la subsistance nécessaire, il déserte et se mutine.

« Arnim. — Nous n’en serons pas là de si tôt. Votre majesté sait fort bien qu’il ne dépendait que de nous de gagner la Bohême et de nous joindre aux troupes de l’impératrice, si le roi l’avait voulu. Le dernier de nos régimens, quand il entra au camp, avait une avance de trois marches sur votre avant-garde. N’est-ce pas une preuve évidente que le roi mon maître ne veut se mêler de rien, qu’il entend rester absolument neutre, que votre majesté n’a rien à craindre ?…

« Le roi. — Tout ce que vous pourrez me dire, mon cher monsieur, ne me fera pas changer mon plan. Il faut absolument que j’aie les troupes de manière ou d’autre. Ne soyez point en peine pour moi, je ne suis pas pressé du tout. Je puis laisser ici au moins vingt-quatre mille hommes, dont je n’ai nullement besoin vis-à-vis de M. de Broune… »


M. de Broune, c’était le feld-maréchal qui commandait les troupes de Marie-Thérèse. Appelé par le roi de Pologne, il marchait au secours des Saxons ; mais Frédéric, avec sa mordante ironie, avait eu raison de dire à M. d’Arnim : « Ne soyez point en peine pour moi, je ne suis point pressé du tout. » M. de Broune arrivait à la manière autrichienne, avec plus de prudence que de célérité. Il eût fallu débloquer les Saxons dès les premiers jours de septembre, quand l’armée était encore pleine de vigueur, pleine d’élan, et que les Prussiens n’avaient pas eu le temps de s’établir aux environs de Pirna ; on attendit que Frédéric fût maître des deux rives de l’Elbe et l’armée saxonne affamée, exténuée, découragée. Nur langsam voran ! comme dit la satire populaire. Lentement, lentement, c’est la devise de l’Autriche. Dans un de ces momens où il ne faut compter que sur soi-même et frapper des coups décisifs, le gouvernement autrichien se reposait en partie sur ses auxiliaires. Le jour même où avait eu lieu l’entretien du roi de Prusse et du général d’Arnim, M. de Kaunitz, ministre des affaires étrangères, écrivait de Vienne au commandant de l’armée impériale, qui avait sans doute besoin d’être un peu encouragé : « Un courrier nous arrive de Paris avec de bonnes nouvelles ; le roi très chrétien envoie un corps important de l’élite de ses soldats au secours de notre auguste souveraine. Ces troupes se rassemblent aux environs de Namur, et vont se joindre à quinze ou seize mille hommes de nos