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qui me concerne, pour le temps où j’étais ambassadeur à Saint-Pétersbourg, tout cela est singulièrement outré et envenimé. Je puis affirmer à votre majesté, sur ma foi d’homme d’honneur, que j’ai reçu à cette époque des ordres formels et réitérés pour décliner toute participation au traité de Saint-Pétersbourg, et cela uniquement par égard pour votre majesté. Le chancelier Bestuchef, à plusieurs reprises, en a été fort irrité contre moi.

« Le roi. — Oui, oui, je sais que vous avez été mal avec le chancelier.

« Arnim. — Pour cette seule raison, sire, que je refusais d’accéder au traité malgré ses instances. Quant au soupçon élevé contre votre majesté au sujet des vues que vous pourriez avoir sur la Prusse polonaise et la Courlande… (Ici, dit le plénipotentiaire, le roi m’a vivement interrompu.)

« Le roi. — Eh ! mon cher monsieur, on a beau nier ou s’excuser, je sais tout ce qui s’est négocié contre moi depuis l’an 1749 consécutivement jusqu’au mois de juillet de cette année ; j’ai des preuves suffisantes en main. Je ne puis donc pas laisser les troupes saxonnes en arrière sans commettre une très grande faute.

« Arnim. — Mais, sire, il y a moyen de donner à votre majesté toute sécurité à cet égard, et si vous n’êtes pas satisfait de nos offres, ayez la bonté de nous dire ce que vous demandez en plus.

« Le roi. — Il me faut les troupes, sans quoi il n’y a point de sûreté. Je joue gros jeu. Les armes sont journalières. Je n’aurais qu’à avoir un échec considérable, et je les aurais à dos.

« Arnim. — Le roi mon maître veut tenir à sa parole royale et garder dans cette guerre la neutralité la plus stricte. Quoi qu’il arrive, ses troupes, sire, n’agiront pas contre vous. Les puissans motifs qui l’empêchent d’accéder aux désirs de votre majesté vous montrent assez quel est le fond de son âme et combien il lui est impossible de ne pas respecter sa parole de roi. Vous pouvez compter avec la même certitude sur la consciencieuse exécution de ses promesses. On pourrait s’entendre sur les quartiers où nos troupes se retireraient. Bien plus, si votre majesté y tenait absolument, nos généraux pourraient s’engager personnellement, sur leur honneur, à ne pas servir contre vous dans cette guerre. Ce serait là en vérité une précaution bien superflue ; le roi y consentirait cependant pour vous donner toute sécurité.

« Le roi. — Tous ces traités, tous ces accommodemens, on les tourne comme on veut. Il faut nécessairement que j’aie les derrières libres, comme aussi la libre communication par la Saxe et l’Elbe. La parole des généraux ! croyez-vous que je veuille faire pendre des généraux et faire la guerre en brigand ? Et puis est-ce qu’on ne peut pas nommer d’autres généraux ?

« Arnim. — Mais si le roi mon maître se décidait à licencier le quart, le tiers de son armée ?

« Le roi. — Il faudrait donc congédier toute l’armée… Mais non, ce serait trop dur. Il y a un moyen : il faut que l’armée marche avec moi, et qu’elle me prête serment.

(Ceci, remarque l’ambassadeur, me fit faire un mouvement de saisissement dont je ne fus pas maître, et dont le roi parut surpris.)