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auxquels différentes démarches de la cour de Vienne avaient pu donner lieu. La première réponse que j’ai reçue de la cour de Vienne est si obscure et énigmatique qu’un prince qui veut pourvoir à sa sûreté ne peut s’en contenter. La seconde était conçue avec tant de hauteur et de mépris qu’elle devait offenser l’indépendance de tout prince qui a son honneur à cœur, et, quoique je n’eusse insisté que sur les assurances que j’exigeais de l’impératrice-reine d’être sûr contre les entreprises qu’elle pourrait faire contre moi cette année-ci et l’année qui vient, elle n’a pas daigné répondre à une demande aussi importante. Ce refus m’a obligé malgré moi de prendre le parti que j’ai cru le plus propre pour prévenir les desseins de mes ennemis. Cependant, tant pour l’amour de la paix que par esprit d’humanité, j’ai encore ordonné à mon envoyé à Vienne de faire de nouvelles représentations à cette cour, en lui faisant sentir que sa dernière réponse étant non-seulement conçue en termes très peu mesurés, mais encore remplie d’une mauvaise dialectique qui ne répondait point à ce que je lui demandais, je me mettais en mouvement d’un côté, — mais que, si encore l’impératrice voulait me donner la sûreté que je lui demandais pour cette année et l’année qui vient, elle pouvait compter que je sacrifierais volontiers toutes les dépenses d’un commencement de guerre à la tranquillité publique, et que de plus je consentirais incessamment à mettre les choses sur le pied de la paix. Voici la vraie situation où je me trouve. Ce n’est ni la cupidité ni l’ambition qui dirigent mes démarches, mais la protection que je dois à mes peuples, et la nécessité de prévenir des complots qui deviendraient plus dangereux de jour en jour, si l’épée ne tranchait ce nœud gordien lorsqu’il en est temps encore. Voilà à peu près toutes les explications que je suis en état de donner à votre majesté. Je ménagerai ses états autant que ma situation présente le permettra. J’aurai pour elle et pour sa famille toute l’attention et la considération que je dois avoir pour un grand prince que j’estime et que je ne trouve à plaindre qu’en ce qu’il se livre trop aux conseils d’un homme dont les mauvaises intentions me sont trop connues, et dont je pourrais prouver les noirs complots papiers sur table.

« J’ai fait toute ma vie une profession de probité et d’honneur, et sur ce caractère qui m’est plus cher que le titre de roi, que je ne tiens que du hasard de la naissance, j’assure votre majesté que, quand même dans quelques momens, surtout du commencement, les apparences me seraient contraires, elle verra, en cas qu’il soit impossible de parvenir à une réconciliation, que ses intérêts me seront sacrés, et qu’elle trouvera dans mes procédés plus de ménagemens pour ses intérêts et pour ceux de sa famille que ne lui veulent insinuer des personnes qui sont trop au-dessous de moi pour que j’en daigne faire mention. Je suis, avec la plus parfaite estime et considération, monsieur mon frère, de votre majesté,

« Le bon frère,
« Frédéric II.
« À Pretsch, le 1er de septembre 1756. »


Les personnes dénoncées dans ces dernières lignes avec tant d’irritation et de hauteur, est-il besoin de le rappeler ? c’étaient les