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Meagher prend la route de Leipzig, et, ignorant ce qui vient de se passer dans cette ville, il tombe au milieu des Prussiens, qui l’arrêtent. Singulière ambassade ! il va offrir le libre passage de la Saxe, et déjà ce passage est pris d’autorité ; il va recommander la discipline réglementaire à ces terribles hôtes, et il les trouve installés déjà comme en pays conquis ; il apporte des paroles de modération, de neutralité, d’amitié sincère, on l’emprisonne. Il faut bien pourtant qu’on se résigne à lui laisser accomplir sa mission : un officier prussien le conduit à Wittemberg, auprès du prince de Dessau, et de là au quartier-général du roi de Prusse, qui le reçoit enfin le 1er  septembre. Frédéric est d’abord sarcastique et dur ; il croit que la neutralité de la Saxe cache des sentimens favorables à Marie-Thérèse, et sa colère, vraie ou simulée, rejaillit sur l’envoyé du roi de Pologne. Quelques heures après, ayant écrit sa réponse au souverain saxon, il se calme, et rappelant M. de Meagher : « Mon général, dit-il, je suis fâché de faire votre connaissance dans les conjonctures présentes. J’espère qu’il s’en trouvera de plus gracieuses. J’ai ouï dire beaucoup de bien de vous. Tenez, voilà la réponse au roi votre maître. Je me flatte qu’il en sera content. C’est tout ce que je puis dans les circonstances. D’ailleurs ce n’est point cupidité ou désir de m’agrandir qui m’ont déterminé à la démarche que je fais. Mes ennemis m’y ont forcé… » La démarche que je fais ! Ces mots sonnent singulièrement aux oreilles du brave officier qui a vu les états de son maître envahis en pleine paix, et qui vient d’être arrêté lui-même au mépris de tous les droits. Il se contient pourtant, et se borne à dire que rien ne justifierait les défiances du roi de Prusse. Le roi de Pologne n’a-t-il pas été pour lui un bon et loyal voisin depuis le traité de Dresde ? N’est-il pas décidé à maintenir ce traité fidèlement ? « Oui, répond Frédéric, je le crois de la part de votre maître : il est droit et honnête homme ; mais il n’en est pas de même de ses serviteurs, qui pensent autrement, et… enfin, monsieur, vous avez la lettre. C’est tout ce que je puis dire au roi. Faites-lui mes complimens. » La lettre de Frédéric II, remise à Auguste III par M. de Meagher le lendemain 2 septembre, était conçue en ces termes :


« Monsieur mon frère,

« Les inclinations que j’avais pour la paix sont si notoires que tout ce que je pourrais dire à votre majesté ne le prouverait pas davantage que la convention de neutralité que j’ai signée avec le roi d’Angleterre. Depuis ce temps, par différens reviremens de système, la cour de Vienne a cru trouver le moment favorable pour mettre en exécution des desseins que depuis longtemps elle couvait contre moi. J’ai employé la voie de la négociation, la croyant plus convenable pour dissiper des soupçons réciproques