Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 66.djvu/858

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tel est le système de M. de Vitzthum. Est-il nécessaire d’en signaler l’exagération et l’injustice ? Faut-il rappeler à l’auteur que l’unité nationale dont il parle n’existait plus depuis longtemps, qu’elle était en train de se reconstituer, de se chercher un nouveau centre, et que c’est précisément la gloire de Frédéric et de la Prusse d’avoir établi avec vigueur ce point d’appui au milieu de la somnolence universelle ? Entre le passé, qui n’était plus qu’une ombre, et l’avenir, que nul ne pouvait encore soupçonner, il y avait alors comme un long interrègne. La compétition était ouverte à tous. N’avait-on pas vu la Bavière en 1740 aspirer à la succession de l’empereur Charles VI et vouloir déplacer à son profit la direction centrale du monde germanique ? Si la Saxe avait eu d’autres chefs que ses voluptueux fainéans, d’autres ministres que les Flemming et les Brühl, elle n’eût pas négligé sans doute de se présenter dans la lice. Ce qui avait accablé la faiblesse du compétiteur bavarois de Marie-Thérèse, ce qui avait effrayé la mollesse du gouvernement saxon, excita et soutint la virile ardeur de Frédéric. Sa clairvoyance fit son ambition, et cette ambition fut son génie. Il comprit mieux que personne la situation précaire de la féodalité allemande ; mieux que personne, il comprit que le futur empire de ce monde disloqué appartiendrait au plus digne, c’est-à-dire à celui qui se mettrait en mesure de servir avec le plus d’intelligence et de vigueur les intérêts de l’avenir. Si Frédéric est grand par les choses qu’il a faites, il l’est bien autrement encore par celles qu’il a préparées. Une fois qu’il eut marqué le but où devait tendre l’Allemagne du nord, il y marcha sans hésitation, sans scrupule, avec un mélange extraordinaire de fougue et de ténacité, d’allures despotiques et d’instincts libéraux, de hauteur méprisante et de sympathie humaine, tantôt dissimulé jusqu’à la fourberie, tantôt sincère jusqu’au cynisme, vrai type, non pas de Salomon ou de Mandrin, comme l’appelait tour à tour Voltaire, mais du révolutionnaire couronné, tel que le XVIIIe siècle devait le former pour l’admiration des uns et le scandale des autres. Son œuvre, à coup sûr, vaut infiniment mieux que sa personne… J’oublie cependant, car les idées se pressent au seul nom de ce singulier grand homme, il séduit et il provoque, il charme et il irrite, — j’oublie, disais-je, que je n’ai pas à tracer ici le portrait, encore moins l’apologie de Frédéric II. Je veux prendre seulement dans le livre de M. le comte de Vitzthum quelques détails ignorés ou mal connus dont l’histoire doit faire son profit.

Le plus curieux des épisodes auxquels s’appliquent les rectifications de M. de Vitzthum, ce sont les rapports de la Prusse et de la Saxe au début de la guerre de sept ans. L’auteur, on n’en saurait douter, a voulu rapprocher cet épisode de la situation des deux