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position, quand elle n’est plus commandée par le respect. Les radicaux auraient pu comprendre qu’on ne gagne jamais rien à oublier la courtoisie, même envers un ennemi qui en manque, surtout quand il est le président des États-Unis. Mieux vaut pourtant leur audace républicaine que cet autre genre de courage, plus ordinaire, qui, toujours respectueux pour les grandeurs présentes, ne se retrouve tout entier que pour insulter les grandeurs déchues.

New-York procura à M. Johnson le plus brillant de ses triomphes. Il arrivait soucieux, préoccupé, visiblement incertain du succès de sa campagne. Il comprenait bien qu’on ne lui faisait voir qu’une seule des faces de l’opinion populaire et que la plus petite marque de froideur ou d’irrévérence pouvait cacher une opposition formidable. Il savait d’ailleurs que les campagnes lui étaient généralement hostiles et que les grandes villes ne lui présentaient qu’un tableau très embelli de sa popularité. L’accueil des habitans de New-York dut pourtant calmer toutes ses inquiétudes et le satisfaire bien au-delà de ses espérances. Cette ville, si fière de sa richesse, voulut lui donner une hospitalité digne de la seconde métropole commerciale du monde. Salves d’artillerie, pompes militaires, processions, maisons pavoisées, illuminations, feux d’artifice, sérénades, rien ne manqua à ces réjouissances, telles que les plus grands souverains s’en donnent rarement à eux-mêmes, — rien, pas même l’enthousiasme sincère, souvent absent des multitudes que la curiosité rassemble toujours aux grandes fêtes. Une députation des marchands princes (merchant princes), comme on appelle aux États-Unis les négocians de la cité souveraine (empire city), vint le prendre sur l’autre bord de la rivière, au milieu des coups de canon grondant sur tous les vaisseaux de la rade. Sur l’autre bord l’attendait en corps la municipalité tout entière, avec un long cortège de cavalerie en grand uniforme et de calèches à six chevaux richement caparaçonnés. La ville entière était sur pied. Le cortège remonta lentement Broadway entre deux murailles vivantes où roulait un tonnerre d’acclamations. Venaient d’abord les hussards, les dragons, les musiciens, puis on voyait quelques hommes simples, vêtus de noir, qui saluaient le chapeau à la main : c’étaient ceux qu’acclamait la foule. Après la réception officielle à l’hôtel de ville et la revue des troupes fédérales, le président essaya de parler à cette multitude de cinq cent mille âmes qui, de tous les faubourgs, se ruait et se pressait vers lui comme une marée montante; mais sa voix fut étouffée par cet enthousiasme impitoyable des foules américaines, dont la suprême faveur est d’écraser sous leurs vociférations les orateurs qu’elles veulent applaudir : quand une fois elles sont déchaînées, il serait aussi vain de vouloir les contenir que d’imposer silence aux flots de la mer. Dans toute son orageuse et aven-