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armer pour battre en brèche la politique républicaine. Ils formeraient autour de lui une milice dévouée, attentive à servir tous ses caprices et à obtenir en revanche qu’il trahisse pour eux les plus grands intérêts du pays.

Lorsque l’année dernière M. Johnson abandonna l’alliance radicale pour tendre la main aux états du sud, il avait conçu une idée patriotique et féconde à laquelle nous avons rendu justice. Ce projet, suggéré sans doute au successeur du président Lincoln par un ministre habile et sage qu’on s’étonne aujourd’hui de voir marcher à sa suite dans la politique violente où il s’est engagé, consistait à s’interposer entre les radicaux et les rebelles, à les modérer les uns par les autres, et à rétablir entre eux la concorde. Ce que jamais ils n’auraient pu obtenir les uns des autres par des négociations directes, où leurs prétentions opposées se seraient choquées publiquement, on pouvait espérer le leur arracher séparément et en détail par une suite de concessions mutuelles qui les auraient insensiblement rapprochés. Il n’était pas impossible d’amener en quelques mois ces ennemis inconciliables à un compromis satisfaisant. Seulement, pour mener à bien ce plan difficile, il fallait une prudence et une modération supérieures, il fallait surtout beaucoup de cette délicatesse et de ce tact politique qui abondaient chez le ministre, mais qui manquaient absolument à son farouche et emporté président. Le médiateur devait déployer une persévérance infatigable à obtenir chaque jour des concessions nouvelles et simultanées des deux partis. Il ne devait pas non plus oublier que les gens du sud étaient les vaincus, que la politique des radicaux était au fond la plus juste, et que, s’il y avait à incliner plus d’un côté que de l’autre, c’était en faveur de l’union et de l’émancipation qu’il fallait faire pencher la balance. Enfin, à la dernière heure, quand l’équilibre commencerait à se faire, il devait se tourner vers le congrès, lui demander un programme, l’obtenir aussi modéré que possible, et l’exécuter alors avec déférence en conseillant au sud de s’y résigner. Ce plan de campagne était fort sage, si sage qu’il faillit réussir en dépit des grossières imperfections de la mise en œuvre. Tout était sauvé, si au dernier moment le président s’était décidé à recommander aux états du sud le programme adouci du congrès. Il tenait alors dans sa main la pacification de la république.

Est-ce la faute des radicaux si M. Johnson a choisi la guerre? Au lieu de s’appuyer sur le congrès pour pacifier les états du sud, il s’est appuyé sur le peuple du sud pour tenir tête au peuple du nord. Au lieu d’user au profit de l’Union de l’autorité qu’il a conquise sur les anciens rebelles, il leur a demandé cette année moins de garanties que l’année dernière. Tout cède à l’obstination de faire