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Thaddeus Stevens, le pilote habile et audacieux du parti radical, déclarait, en votant l’amendement, qu’il s’en contentait provisoirement par nécessité, mais qu’il espérait dans un prochain avenir arriver à quelque chose de meilleur. C’était une raison de plus pour que le président s’étudiât à désarmer l’opinion radicale à force de sagesse et de modération. Il n’avait pas de temps à perdre, déjà pleuvaient de tous côtés les ratifications à l’amendement : le Connecticut, le New-Hampshire et le Maine ouvrirent la voie; les autres états du nord allaient suivre leur exemple. Le gouverneur Curtin, de la Pensylvanie, écrivait une circulaire aux autres gouverneurs d’états pour les exhorter à une action commune. Enfin l’avisé Thaddeus Stevens avait fait voter au congrès l’admission provisoire des représentans du Tennessee avec la réserve que cette admission serait nulle, si avant le 1er janvier 1867 le Tennessee n’avait pas conféré le droit de suffrage à tous les citoyens sans distinction et ratifié l’amendement constitutionnel : la ratification exigée ne se fit pas longtemps attendre. Toutes ces victoires, survenant l’une après l’autre, creusaient chaque jour plus profondément le fossé qui séparait le président Johnson de la nouvelle politique radicale, devenue aujourd’hui celle de tous les hommes sensés.

Mais le président était remonté sur son grand cheval de bataille. Comme pour le bureau des affranchis, comme pour le bill des droits civils, et en général pour toutes les lois votées par les radicaux, il soutenait que cet amendement était un acte inconstitutionnel : singulier reproche fait à une mesure dont l’objet était justement de modifier la constitution! M. Johnson appuyait son dire sur l’illégalité prétendue de la procédure suivie par le congrès; il insistait surtout sur la formation irrégulière de cette commission mixte nommée par les deux chambres pour élaborer en commun un projet qui aurait dû sortir spontanément du sein de chacune des assemblées. Son devoir de président l’obligea pourtant à faire communication officielle de l’amendement aux divers gouverneurs des états. Seulement, au lieu de la recommandation habituelle, il joignit à son message une protestation et un avis contraire.

Affaibli, humilié, supplanté par les radicaux dans l’opinion populaire, il espérait s’y rétablir en frappant un grand coup. Le congrès qui l’avait bravé n’avait plus que quelques jours à vivre; dans peu de semaines une élection nouvelle allait juger souverainement leurs disputes. Sans prétendre à détruire toute la majorité radicale, ne pouvait-il pas enlever à ses adversaires cette inébranlable majorité des deux tiers qui les rendait maintenant invulnérables? Les députés du sud entreraient alors dans la chambre, et compléteraient la majorité conservatrice sur laquelle s’appuierait son gouvernement. Jusque-là, ballotté entre les républicains et les démo-