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lation électorale. Il fallait, ou bien conférer sans retard le droit de suffrage aux affranchis et procéder à des élections nouvelles, ou bien diminuer la représentation du sud de tout l’appoint que lui donnait son immense population noire. De ces deux solutions, la première, la plus radicale, était aussi la plus en faveur dans le congrès. Les républicains de l’école avancée, que la dernière élection avait mis à la tête des affaires, ne cachaient pas leur désir de compléter l’émancipation de la race noire en l’élevant tout entière au pouvoir politique ; mais ce parti extrême effrayait les gens plus timides, qui n’acceptaient les doctrines égalitaires qu’à la condition d’en rejeter la pratique à un avenir plus éloigné.

L’autre solution était plus sage, et elle fut préférée. Pour diminuer la représentation des états du sud, il n’était pas besoin d’une loi électorale particulière et applicable à eux seuls. Il suffisait de modifier en gros la base de la représentation nationale, de façon à exclure du compte de la population les classes privées des droits politiques pour raison de race ou de couleur. L’exclusion était applicable aux états du nord comme aux états du sud. En donnant une base équitable et régulière à la représentation des états du sud, le congrès ne pouvait être accusé sérieusement d’empiéter sur leur indépendance. Libre à eux de se donner intérieurement telle constitution qui pourrait leur plaire, d’admettre les noirs au suffrage ou de les en exclure, de grossir ou de diminuer à leur gré la population électorale. S’ils avaient intérêt à conférer le droit de suffrage aux affranchis afin de conserver leur ancienne représentation ou même de l’accroître, rien cependant ne les forçait de le faire. Tel fut le premier amendement constitutionnel proposé, au nom de la commission des quinze, par M. Thaddeus Stevens, le leader bien connu du parti républicain dans la chambre. C’était un chef-d’œuvre de modération et d’habileté.

Il échoua cependant par l’opposition du président. On sait que les amendemens constitutionnels, une fois votés par le congrès à la majorité des deux tiers, n’ont plus rien à démêler avec le pouvoir présidentiel : ils doivent être ratifiés par les trois quarts des états, après quoi le pouvoir exécutif, si récalcitrant qu’on le suppose, n’a plus rien à faire que de courber la tête et d’en assurer l’exécution. Ils échappent donc à cette secousse du veto présidentiel qui souvent ébranle des majorités formées d’avance, et disperse au second tour de scrutin des bataillons qui jusque-là semblaient invincibles. L’amendement de M. Stevens avait été voté facilement par la chambre, et ne pouvait manquer de réussir également dans le sénat. Malheureusement la proposition avait été accompagnée de paroles acerbes auxquelles le président, changeant tout à coup de langage, avait répliqué par un déluge d’in-