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plus que l’avènement d’une nation dont on est par le sang, par l’esprit, par le caractère. Seulement ne prétendez pas que cette révolution se fasse au pas de charge. Il faut se souvenir que l’église est un corps à part, qui a besoin de voir et de s’accoutumer aux choses, pour qui surtout le temps ne compte pas. Le meilleur moyen de la désarmer, c’est de lui donner des raisons de se résigner, c’est en d’autres termes que l’ordre nouveau se consolide, que les espérances de réaction s’évanouissent, que l’Italie vive et s’organise. Demandez diplomatiquement au cardinal Antonelli l’abolition du pouvoir temporel, il vous répondra avec son froid sourire comme répond toujours l’église : « Venez le prendre ! » et on n’y va pas. Écoutez en conversation des prélats, des cardinaux : ils avoueront que c’est une question de temps, d’opportunité, de combinaison ; ils s’inquiéteront du degré de vérité de cette église libre qu’on leur offre, et au besoin ils vous diront ce que Pie IX lui-même disait à M. Boggio : « Et quand vous m’aurez pris les quatre palmes de terre qui me restent, au premier différend vous me condamnerez aussi au domicile forcé comme l’évêque de Foggia ou le cardinal de Angelis ! » C’était bien toucher la difficulté pratique ; mais ce n’était pas, si je ne me trompe, la présenter sous un jour tel qu’elle implique un antagonisme indéfini ou même une inimitié bien violente.

Au fond, deux choses essentielles résument et caractérisent cette situation de Rome. L’une, c’est l’impossibilité de vivre, impossibilité politique, matérielle, économique ; l’autre, c’est cette affinité multiple, obscure, qui existe entre la papauté romaine et l’Italie, affinité de race, d’instincts, d’intérêts sur certains points. Et ces deux choses ont trouvé dans ces deux dernières années des expressions diverses. L’impossibilité de vivre, elle a retenti en quelque sorte dans cette circulaire que le cardinal Antonelli adressait le 19 novembre 1865 à tous les nonces du saint-siège à l’étranger, et où, prenant son temps, ne rompant le silence qu’un an après la convention du 15 septembre, il constatait la situation extrême que cette convention faisait à la papauté. Jamais, je crois, cri de détresse n’a été poussé avec une dialectique plus tranchante et plus âpre, avec plus de crudité, avec plus de hauteur. L’aveu était hautain en effet, mais c’était un aveu. Le cardinal Antonelli ne déguisait rien, ni les périls extérieurs, ni les embarras intérieurs, ni les détresses d’un trésor aux abois. « Ce qui est certain, disait-il, c’est que le saint-siège se trouvera abandonné à lui-même après avoir été réduit à une situation où les moyens internes lui manquent pour ainsi dire entièrement. Il est certain encore qu’il se trouve exposé à la menace continuelle de dangers extérieurs qui le met-