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incendièrent l’hôtel du gouvernement et les autres édifices publics, puis pour dernier exploit saccagèrent le quartier de la ville habité par les Malais. Quelques Anglais furent massacrés. Le rajah, échappé par miracle à la fureur de ces sauvages, put se réfugier sur un bateau à vapeur de commerce qu’un heureux hasard fit arriver dans le fleuve au moment même. Le triomphe des insurgés fut de courte durée. Loin de les seconder, les Malais, qui les détestaient d’instinct et qui venaient du reste d’éprouver leur brutalité, déclarèrent aussitôt qu’ils préféraient à toute autre l’autorité du rajah Brooke. Les vaillans Dyaks de Sakarran accoururent au plus vite dans leurs barques de guerre, sous la conduite du tuan-mudah, tout prêts à venger sur les Chinois de vieilles inimitiés. Ceux-ci, quoique maîtres de la ville, furent incapables de s’y maintenir. N’osant se hasarder en bataille rangée, ils se retirèrent vers le haut du fleuve, harcelés et poursuivis sans un instant de répit. Ce fut une pitoyable déroute. Les uns se laissaient massacrer sans essayer de se défendre; d’autres se faisaient justice eux-mêmes en se pendant aux arbres des forêts. La manie du suicide est en effet un de leurs pires défauts. Le peu qui échappa à ce carnage parvint à gagner la frontière des résidences hollandaises, où les troupes du rajah durent arrêter leur poursuite.

La ville de Kuching ne tarda pas à se relever de ses ruines, bien que sir James Brooke et ses principaux officiers eussent perdu dans ce désastre tout ce qu’ils possédaient. Un nouveau fort fut édifié à la hâte. Les Malais reconstruisirent leurs habitations. Les traces matérielles de l’insurrection s’effacèrent peu à peu; mais il en resta pour l’avenir un juste sentiment de défiance contre la race chinoise, si perverse et néanmoins si utile au pays.

L’insurrection du 18 février 1857 et les guerres contre les tribus rebelles que soutient le fanatisme mahométan ont été les principaux événemens de la carrière du rajah de Sarawak. Sans doute l’histoire mériterait d’en être racontée tout au long. On y verrait avec intérêt par quels prodiges d’énergie patiente une poignée d’Européens sont arrivés à imposer leur joug à des tribus sauvages. Il y avait fort à faire pour amener ces barbares à un médiocre degré de civilisation, le seul qu’ils soient peut-être en état d’atteindre. Les hommes qui ont le plus fréquenté les Dyaks paraissent convaincus que c’est une race incapable d’être civilisée, dans le sens que l’on attache d’ordinaire à ce mot. N’est-ce pas déjà un progrès appréciable que d’avoir mis un terme aux luttes intestines de tribu à tribu et d’être arrivé à leur persuader que les têtes humaines ne sont un trophée avouable qu’autant qu’elles ont été recueillies dans une guerre franche et ouverte? Par malheur, le bien ne s’accomplit pas chez de telles nations par des voies pacifiques ; la force seule