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calmes et lumineuses de la région tropicale, entre les Philippines, la Cochinchine et Java, s’étend une terre immense connue sous le nom de Bornéo, et dont les géographes ne disaient guère qu’une chose jusqu’en ces derniers temps : c’est qu’elle est la plus grande île de notre planète[1]. Au sud et à l’est, les Hollandais en occupent une partie, où ils ne se préoccupent que de leurs intérêts commerciaux. Les résidences de Pontianak et de Bandjermassin, de même que celles de Java et de Sumatra, sont en quelque sorte des fermes dont la métropole s’efforce de tirer le plus fort produit possible, sans se soucier beaucoup de développer chez les aborigènes des germes de civilisation. Ceux-ci sont heureux sous leurs maîtres étrangers comme le seraient des esclaves soumis à un régime doux et humain. Il leur est interdit de quitter le pays natal; par compensation, l’immigration chinoise qui viendrait leur disputer leurs terres est réprimée. Les habitans des possessions hollandaises vivent donc ainsi qu’ont vécu leurs pères, sans devenir d’une génération à l’autre ni pires ni meilleurs. Tout à fait au nord se maintient, malgré l’anarchie qui le désole, l’empire du sultan de Bruni. Au centre, dans les hautes chaînes de montagnes que les hommes blancs n’ont jamais foulées, errent quelques tribus sauvages, anthropophages peut-être, qui n’ont jamais eu aucune relation avec les nations étrangères. Enfin sur l’immense périphérie de cette île circulent des barques de hardis pirates qui pillent les villages du littoral, et inspirent la terreur même aux bâtimens du commerce européen.

Bornéo est habité par des races d’hommes bien diverses en apparence. Sur la côte, on trouve des Malais semblables à ceux qui peuplent les petites îles et tout le littoral des grandes terres de l’archipel. Race neptunienne par excellence, ces hommes se sont disséminés de proche en proche sur toutes les terres de cette partie du monde, mais ils n’en occupent jamais que la partie maritime. Ils ne pénètrent pas à l’intérieur, car la mer est leur élément favori. Secondés par le retour périodique des moussons, hardis navigateurs, ils franchissent d’immenses distances dans leurs frêles embarcations. Souples et dociles, ils ont acquis en ces pérégrinations un commencement de civilisation, et se sont formé par des emprunts à d’autres peuples une langue douce et caressante que l’on a comparée à l’italien, dont elle a les formes polies et les consonnances harmonieuses. Le malayou est la langue universelle en Océanie comme le français en Europe. Tels on a vu les Malais dans

  1. Cette opinion même est erronée. Sans parler de l’Australie, que l’on range, au point de vue géographique, au nombre des continens, il paraît que la Nouvelle-Guinée a plus d’étendue superficielle que Bornéo : elle est encore moins connue des Européens.