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vie comfortable. La main-d’œuvre est à si vil prix que, dans chaque maison, les domestiques, Chinois, Malais ou Bengalis, sont toujours très nombreux. Doucement absorbés par une vie affairée dont chaque jour ajoute à leur opulence, ces heureux Européens attendent sans impatience le moment où ils se croiront assez riches pour reparaître avec honneur dans leur pays natal. L’Australie leur envoie des chevaux; l’Amérique du Nord leur fournit de la glace pour rafraîchir leurs breuvages; ils récoltent dans leurs jardins les fruits les plus savoureux et reçoivent de l’Inde, du Cap, ou même de l’Europe, tout ce qui pourrait manquer à leur bien-être. Comme moyens de distraction, ils ont importé d’Angleterre les courses de chevaux et le jeu favori du cricket. Loin de se laisser écraser par la température excessive du climat, ils mettent à profit la fraîcheur du matin et du soir pour s’adonner aux exercices du corps qui conservent la santé et rendent de la vigueur aux constitutions énervées par la chaleur.

Si Singapore est un vaste entrepôt d’échange, Penang est au contraire ce qu’on pourrait appeler une colonie agricole. Ce qu’on en exporte est le produit des territoires environnans; ce qui y arrive est destiné à la consommation locale. L’île de Penang, située sur la côte orientale de la péninsule, à 600 kilomètres environ au nord de Singapore, fut la seconde station que l’ancienne compagnie anglaise des Indes créa dans l’archipel de l’Indo-Chine, dont trois nations européennes, la Hollande, le Portugal et l’Espagne, se disputaient alors le commerce. Le fort de Bencoolen au sud-ouest de Sumatra, trop en dehors des routes habituelles du commerce, avait peu d’utilité. C’est sur le passage même des navires qui vont en Chine qu’il était désirable de saisir un lieu de relâche. La petite île de Penang fut donc acquise vers 1786 moyennant une rente annuelle de 10,000 dollars que le gouvernement colonial paie encore au rajah de Quédah, souverain légitime de cette partie de la côte. L’île était alors recouverte d’épaisses broussailles qu’il était très pénible de défricher. Le premier gouverneur de cette colonie, voyant que ses ouvriers y usaient rapidement tous leurs outils, inventa, dit-on, une façon assez originale de nettoyer le sol. Les Malais de la péninsule venaient volontiers près des nouveaux colons et les aidaient à s’établir. Lorsqu’ils parurent se rebuter au travail de défrichement, le gouverneur eut l’idée de charger une pièce d’artillerie avec de menues monnaies en guise d’obus, puis d’envoyer cette mitraille au milieu des jungles. Les indigènes s’acharnèrent si bien à retrouver les dollars que les broussailles disparurent bientôt.

Comme aspect topographique, Penang offre à la vue des mon-