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future de la Malaisie. Cet homme d’état pressentit combien devait être profitable la possession d’un port situé, comme l’est Singapore, au point de croisement de tous les bâtimens qui naviguent entre l’Europe et l’Inde d’un côté, la Chine, les Philippines et le Japon de l’autre. L’île dont il s’agit n’était occupée alors que par un petit nombre de Malais, pêcheurs ou laboureurs, pirates à l’occasion, comme l’étaient presque tous les indigènes de ces parages au temps où les vaisseaux de guerre européens ne s’y montraient qu’à de rares occasions. Sir Stamford Rafles s’entendit avec le sultan de Johore, prétendu souverain légitime du pays, et avec le tumoungong ou vice-roi de cet état barbare; il offrit à chacun d’eux, une grosse pension viagère, et leur extorqua sans plus de difficultés la jouissance paisible du territoire qu’il convoitait. Le traité étant en bonne forme et la pension régulièrement acquittée, personne ne fit obstacle à la prise de possession, si ce n’est toutefois les Hollandais, qui voyaient avec déplaisir cet établissement nouveau créé dans leur voisinage. Encore se bornèrent-ils à des protestations dont il ne fut tenu aucun compte. D’ailleurs le traité de 1824, qui survint peu après, les désintéressa tout à fait de ce qui se passait dans la péninsule. Ce fut à la suite de ce traité qui rendit Malacca aux Anglais, ainsi qu’il a été expliqué plus haut, que les trois stations de Penang, Singapore et Malacca furent incorporées en un seul gouvernement, dépendance de la présidence du Bengale, et reçurent le nom de colonies du Détroit, par lequel elles sont encore désignées dans le langage officiel.

Singapore fut déclaré port franc dès l’origine, et ce privilège eût suffi pour y attirer de nombreux navires, car tous les autres ports des îles environnantes percevaient alors de lourdes taxes sur les bâtimens de commerce. Des négocians s’y établirent; on leur concéda des terres à bon marché. La compagnie des Indes fit de son côté quelques dépenses opportunes pour améliorer la situation de la colonie. La population s’y accrut donc avec rapidité. Ce fut tout de suite autre chose qu’un entrepôt. Le territoire est riche et fertile, et, quoique d’étendue restreinte, suffit à alimenter un commerce d’exportation qui n’est pas sans importance. Située entre l’équateur et le tropique, la péninsule de Malacca produit sans culture toutes les denrées précieuses des pays chauds, le poivre et le riz, le sucre et le coton, presque toutes les sortes d’épices que les navigateurs vont depuis un temps immémorial chercher à l’extrémité de l’Asie. Le sol en est légèrement ondulé sans grandes chaînes de montagnes; des rivières très profondes qui pénètrent au loin dans l’intérieur permettent aux barques indigènes d’amener à peu de frais jusqu’au port d’embarquement les produits du sol les