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réclamations. Il a tout concédé; on ne lui accorde rien en retour. Ses plaintes à ce sujet sont fréquentes. « Quand je parle avec le premier consul, écrit-il à sa cour, la controverse n’aboutit jamais; nous discutons, et chacun demeure dans son sens; car tandis que je lui pousse des argumens religieux, il me répond par des raisons politiques sans tenir compte de la réalité des choses[1]. » Quelquefois il lui échappe de véritables lamentations et comme des cris de désespoir. « Parler raison, c’est jeter ses paroles au vent. Ma vie est ici un crève-cœur continuel. On n’y entend dire que des horreurs. Affirmer que la discipline de l’église exige des soins particuliers ne sert qu’à provoquer des injures, pour ne pas dire pis[2].... Quand le premier consul est indisposé contre nous, les choses marchent avec une rapidité effrayante[3]. » Malheureusement chez le premier consul ces retours de mauvaise humeur n’étaient pas rares. En général il était gracieux avec le cardinal, c’est-à-dire qu’il le traitait avec un sans-façon familier, ce qui, de sa part, était, dès cette époque, une marque signalée de faveur. Il usait le plus souvent avec lui de ces manières de parler moitié caressantes, moitié railleuses, que les personnes du monde emploient volontiers avec les gens de l’église lorsque ceux-ci s’en accommodent, et Caprara paraissait y trouver plaisir; mais Napoléon rencontrait-il quelque résistance ou seulement un peu de retard dans l’exécution de ses volontés, la rudesse reprenait le dessus. Le malheureux légat redoutait tellement les accens impétueux de cette mauvaise humeur toujours prête à éclater, qu’il remettait de jour en jour et même se dispensait absolument d’exécuter les instructions qu’il recevait du Vatican, lorsqu’elles couraient risque de déplaire au premier consul[4]. D’autres fois il prétextait l’absence de pouvoirs; mais cela même ne le sauvait pas. « Ah bah! s’écriait le premier consul, ce sont là de vos tours habituels[5]. » Par momens le représentant du saint-siège en arrivait à se rendre à peu près compte de la situation que lui avaient faite ses concessions toujours répétées et toujours inutiles. Il devinait qu’il avait en partie perdu la confiance du pape et du cardinal secrétaire d’état sans avoir conquis la moindre influence sur l’esprit de celui qui gouvernait la France. Son découragement alors devenait tel qu’il demandait instamment son rappel[6].

  1. Le cardinal Caprara au cardinal Consalvi, 3 juillet 1803.
  2. Ibid, 10 juillet 1803.
  3. Dépêche du 30 octobre 1803.
  4. Le cardinal Caprara au cardinal Consalvi, dépêche du 25 juillet 1802.
  5. Ibid., 3 juillet 1802.
  6. Ibid., 15 août 1802.