Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 66.djvu/569

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

recherché et soigneux, comme il l’était volontiers avec ceux de qui il avait obtenu tout ce qu’il pouvait souhaiter. Il lui parla avec une vivacité extrême, parfois avec des paroles émues de ce qu’il avait fait pour le rétablissement de la religion, se plaignant d’en avoir été bien mal récompensé par l’opposition qu’il avait rencontrée chez les catholiques, et plus particulièrement parmi les ecclésiastiques ! Le cardinal vit bien qu’il était lui-même compris dans l’accusation générale. Il voulut se défendre ; mais le premier consul coupa court à ses excuses. « Nous ne sommes plus au temps où les prêtres pouvaient faire des miracles. Faites revenir ce temps-là, et je vous abandonnerai tout. Dans les circonstances actuelles, c’est moi que vous devez laisser agir en me prêtant une assistance poussée aussi loin que la religion peut le permettre. Les différends entre les catholiques et les constitutionnels ont fait naître chez les incrédules, les athées et les hommes qui ne s’occupent pas de religion l’idée de se jeter dans le protestantisme, religion, disent-ils, où il n’y a point de discussions, et dont les chefs et les directeurs font tout ce qu’ils peuvent pour induire le monde à entrer dans cette voie[1]. »

Caprara était, dès les premiers mots, retombé sous le charme du grand homme ; cette tendresse pour la religion catholique le touchait profondément de sa part. « Le premier consul ne veut pas entendre parler, écrit-il à sa cour, d’un changement de culte, et cela lui coûte des efforts énergiques pour l’empêcher… Il désire passionnément, comme il le dit lui-même par suite de sa propre conviction, que sa religion se soutienne ; il le veut aussi en sa qualité de chef de gouvernement qui se sent responsable envers toute la terre. Il le veut enfin par l’amour-propre qu’il met à réussir dans tout ce qu’il entreprend[2]. » C’est en sortant de l’une de ces conversations familières où le premier consul s’ouvrait à lui de ses projets sur ce ton de supériorité qui se passe de tout artifice, et semble d’autant plus aimable qu’elle est plus franche, que le cardinal traçait ingénument à sa cour le plan de la seule conduite qu’il crût bonne à suivre vis-à-vis de ce redoutable adversaire. « Celui qui est destiné à traiter avec le premier consul doit toujours avoir présent à la pensée qu’il traite avec un homme qui est l’arbitre des choses de la terre, un homme qui a paralysé, on peut le dire, toutes les autres puissances de l’Europe, qui a conçu des projets dont l’exécution paraissait impossible et qui les a conduits avec un bonheur qui étonne le monde entier. Lors donc qu’on s’aperçoit que ce grand homme veut décidément quelque chose, il faut d’abord chercher à

  1. Le cardinal Caprara au cardinal Consalvi, 25 juin 1802.
  2. Ibid.