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son régiment quand une querelle fâcheuse s’y est produite. L’appui que le légat, par suite des instructions du saint-siège, prêtait nécessairement aux évêques légitimes et à leurs adhérens, l’obéissance qu’il rencontrait dans ce parti, le plus nombreux, le plus considéré, mais soupçonné d’être le moins dévoué au chef de l’état, excitaient le ressentiment du premier consul, si jaloux de son autorité et toujours si profondément blessé quand il soupçonnait quelqu’un de vouloir entrer en lutte avec lui. La position du cardinal Caprara était des plus embarrassantes. Maintes et maintes fois il avait représenté Napoléon comme mal disposé au fond pour les constitutionnels. Il lui avait su naguère le meilleur gré du monde d’avoir expulsé plus de cinquante membres du corps législatif parce qu’ils contrariaient, écrivait-il à sa cour, ses pieux et favorables sentimens envers l’église romaine. Il lui fallait maintenant reconnaître à quel point il s’était trompé. Il n’en revenait point d’entendre le premier consul encourager publiquement la résistance des ecclésiastiques du second ordre, et M. Portails répéter après lui à tout venant « qu’il n’était besoin ni de rétractation ni d’aucune déclaration quelconque, et que le serment suivant le concordat suffisait pleinement[1] ».

Pour expliquer ce revirement inattendu, Caprara s’efforça d’abord de persuader au secrétaire d’état de sa sainteté que le nouveau chef du gouvernement français venait tout à coup de se laisser forcer la main par le parti des antireligieux et des indifférens, composé d’individus très puissans et protecteurs déclarés des constitutionnels. Ils ont, écrivait-il le 15 mai 1802, « jugulé le premier consul[2]. » Peu de temps après, mandé soudainement à la Malmaison, le cardinal Caprara eut occasion de se convaincre que le premier consul n’était, en cette circonstance comme toujours, que l’interprète de ses propres volontés. Son abord, en voyant le légat, fut des plus froids, et son langage impérieux et violent. « Il était indispensable, dit-il, de faciliter la réconciliation des prêtres, et pour cela il suffisait qu’ils promissent obéissance à leur évêque légitime. Exiger davantage était inutile, superflu, et, suivant lui, un trait d’orgueil de la cour de Rome. Par suite des difficultés ridicules que le légat suscitait dans cette affaire, les évêques et leurs troupeaux étaient jetés dans un état d’angoisses : cet unique motif portait des milliers de catholiques à demander à passer au protestantisme[3]. » À ce propos, le cardinal épouvanté protesta qu’on avait mal informé le premier consul, et que la conduite qu’il

  1. Le cardinal Caprara au cardinal Consalvi, 15 mai 1802.
  2. Ibid.
  3. Ibid., 13 juin 1802.